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Hugues Cuénod, ténor (Corseaux s/ Vevey, 26 juin 1902 – Vevey, 6 décembre 2010)

Il y a quelques années encore, on le voyait à l'Opéra de Lausanne. A cent ans passés, il avait plaisir à entendre la musique, sa musique. L'opéra. Après le spectacle, il aimait à deviser avec ses nombreuses connaissances et prolongeait volontiers la discussion. Il semblait que jamais il ne quitterait notre monde. Et pourtant, lentement, il s'est éteint. Au bel âge de 108 ans !

Avec une carrière commencée en 1928 dans «Johnny spielt auf d'Ernst Krenek au Théâtre des Champs-Elysées de Paris s'étendant jusqu'à ses adieux à la scène à 92 ans avec un Monsieur Triquet dans l'Eugène Onéguine de Tchaïkovski au Théâtre de Mézières près de Lausanne. Toutes les scènes l'ont reçu. Il suffit de des rappeler qu'en mars 1987 (à l'âge de 85 ans !), il fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York dans l'Empereur Altoum de la Turandot. Imaginez la scène ! , mis en scène par Franco Zeffirelli, dirigé par James Levine dans une production où Placido Domingo est Calaf, Eva Marton est Turandot, Leona Mitchell (Liù) et Paul Plishka (Timur). Au lendemain de la représentation, la critique affirma qu' était certes le chanteur le plus âgé jamais engagé par le Met mais qu'il avait été le seul dont on avait compris les paroles qu'il avait chanté !

Cette carrière de petits rôles immensément remplie ne sera heureusement pas oubliée puisqu'entre 1986 et 1996, François Hudry, l'animateur de La Tribune des critiques de disques sur France Musiques, a conduit une série d'entretiens avec le ténor vaudois. Des entretiens qui font l'objet d'un merveilleux petit livre (Hugues Cuenod – D'une voix légère – Ed. La Bibliothèque des Arts, Lausanne – ISBN 2-88453-032-0) d'où nous tirons cet extrait de la préface signée Dominique Fernandez.

« et son Socrate»

«Hugues Cuénod, pour les jeunes gens de ma génération, c'était un mythe. Je crois l'avoir découvert dans les années cinquante, en découvrant Monteverdi. Les deux révélations se superposent dans mon souvenir. Nous écoutions religieusement ces disques – 78 tour, encore ! – de madrigaux, nous nous laissions brûler par ce feu dont nous ne connaissions pas l'équivalent. Ardo, Ecco mormorar l'onde et Lasciatemi morire (si je ne confonds pas les titres), tout ce pathos de la douleur nous empoignait, avec une violence que nous ne savions pas que la musique pût avoir. Et, sur la crête de ces lames torrentueuses, la voix d'Hugues Cuénod, légère, profonde, souple, écume chatoyante jaillissant des profondeurs de l'abîme…

On nous dit aujourd'hui que ce n'est pas comme cela qu'il faut chanter Monteverdi, que l'accompagnement au piano était un sacrilège, que Nadia Boulanger manquait d'érudition…. Grâce au ciel ! Car si la musicologie, triste conséquence du complexe d'infériorité de l'art devant la science, a fait des «progrès» (comme l'électronique et l'informatique), quel recul, dans les interprétations d'aujourd'hui, sur ces disques âgés de plus d'un demi siècle, pour ce qui est de l'émotion, de la poésie ! Cuénod dans Monteverdi, comme Marcelle Meyer dans Rameau, ou Edwin Fischer dans Bach, appartient au nombre de ces hérétiques sublimes en qui on reconnaît les vrais saints.

Et Britten, Stravinski, Milhaud, Satie, Markevitch, , que ne lui doivent-ils pas. Pionnier dans son siècle autant qu'archéologue du passé, Cuénod a laissé sa marque partout où il s'est arrêté…»

Le musicien curieux a rencontré tout ce qui importait dans la musique du XXe siècle. Spécialiste de la mélodies française, ses enregistrements de Debussy, Fauré, Roussel, Poulenc, Auric et autres Chabrier, Honegger sont d'incontournables références. Participant à la création de plusieurs opéras, comme The Rake's Progress ou Les Noces de Stravinski, léger, immensément doué, il s'étonnait sincèrement de ses succès. Avec une modestie et un humour sur lui-même inhabituel dans ce métier, il disait : «J'avais une voix de ver de terre, je ne chantais ni ténor, ni baryton, ni rien : c'était une petite voix blanche : Petit à petit, ça c'est un peu arrangé !» Piqué d'un humour sans pareil, il résumait son existence en affirmant qu'il avait jouit «d'une trinité toute profane : le don de la musique, celui de la paresse, celui d'être gentil et agréable avec ses amis».

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