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Kiki Van Beethoven, la musique adoucit les mœurs

C'est probablement la première fois que ResMusica chronique un pièce de théâtre, sans une once de musique dedans, si ce ne sont les bruits de fond. Mais c'est tout aussi rare qu'une œuvre théâtrale porte le nom d'un compositeur classique, et que le sujet en soit la rédemption par la musique !

Kiki est une vieille dame encore fringante, vivant dans une résidence pour personnes âgées avec ses trois copines. De l'autre côté du parc, se trouve la cité Gagarine, reliquat des barres HLM des années 70, depuis transformée en ghetto. Kiki n'est pas une adorable et fragile ancêtre aux cheveux bleutés, ce n'est pas Tatie Danielle non plus. Grande gueule, casse-pied, misanthrope, lucide et mal embouchée, elle fait partie de ceux qu'on déteste ou qu'on adore au premier coup d'œil, comme le fait Boubakar le rappeur. Malgré les rebuffades, il ne la quittera plus après l'avoir interpellée parce qu'elle écoute quotidiennement l'intégrale des œuvres de Beethoven à fond sur son énorme appareil portable, assise sur un banc au beau milieu du parc.

Pourquoi donc Kiki s'inflige-t-elle une telle épreuve, jour après jour, alors que la musique du grand Ludwig lui donne la nausée ? Tout simplement parce qu'elle a été attirée par un masque de Beethoven qui traînait dans une brocante. Elle s'est souvenue que dans sa jeunesse, ces moulages et ces bustes du compositeur faisaient chanter en elle sa merveilleuse musique. Que s'est-il passé depuis ? Pourquoi n'entend-elle plus cette mélodie en elle ? Le temps qui passe annihile-t-il les êtres au point de ne plus rien pouvoir ressentir ? Ou bien est-ce la peur de se remémorer les blessures les plus brûlantes, et de souffrir à nouveau de leur remembrance ?

C'est le début d'un voyage intime pour chacune des quatre amies, et pour Kiki, la confrontation avec l'inacceptable ultime, le suicide de son enfant, dont elle refuse de parler, de prononcer même le nom, de l'évoquer avec quiconque. La musique l'aidera à faire son deuil, et la paix avec une partie de l'humanité, pas toute, car elle reste quand même une satanée casse-pied !

Si l'on pleure parfois, surtout dans le dernier quart d'heure, il ne faut pas croire qu'il s'agisse d'une pièce tragique. est un dramaturge diabolique, qui, même s'il sait fort bien jouer de la corde lacrymale, a le sens de la demi-teinte, des variations d'ambiance, de la charge féroce, de la formule qui fait mouche, et on rit souvent !

Dans un décor très dépouillé, une chaise, un immense masque de Beethoven en fond de scène, un très intelligent jeu de lumières et quelques bruits de fond, dont bien entendu la musique du grand Ludwig, Danièle Lebrun, époustouflante, tient ce long monologue une heure et demie durant, donnant vie à Kiki, à son frère, à ses copines, à Boubakar. Chapeau bas, madame !

Crédit photographique : Danièle Lebrun © DR

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