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EMI met Furtwängler en boite

Bayreuth, 29 juillet 1951, concert de réouverture. Quelques pas résonnent sur un parquet, soudain un crépitement d'applaudissements, secs comme une décharge électrique, saluent le chef. Le silence rapidement. , fidèle à sa manière, fait émerger des nimbes la musique de la Neuvième Symphonie de Beethoven pour, en quelques mesures, lui faire déclencher des éclairs jupitériens.

Moment historique, enregistré par EMI par l'incontournable producteur anglais Walter Legge, celui-là même qui a permis à Karajan de contourner l'interdiction qui lui était faite par les Alliés de diriger en concert en 1945, en lui ouvrant en grand les portes des studios EMI. A l'issue du concert, Legge, perfide, estime que Furtwängler a déjà mieux joué cette symphonie. Furtwängler, déstabilisé n'en dormira pas de la nuit, et l'enregistrement ne sera publié qu'après sa mort, par autorisation de sa veuve. Depuis cet enregistrement a acquis une réputation légendaire, au point que la durée du CD a été conçue par Sony et Philips dans les années 80 pour que ce support puisse le proposer sur un seul disque. Pour l'occasion, EMI publie la bande originale qui inclue les applaudissements, témoignage frappant de l'effet magnétique que le chef suscitait sur son public (cette bande était déjà parue au Japon, éditée par le Center of Japan).

Alors que les coffrets regroupant l'intégralité des enregistrements de tel ou tel artiste historique prolifèrent depuis des années, on attendait qu'EMI fasse de même pour le chef le plus emblématique de la flamme artistique et des tourments politiques du XXème siècle. Voilà qui est fait à l'occasion du 125ème anniversaire de sa naissance. Le coffret a de vrais atouts : une remastérisation bienvenue des deux intégrales des symphonies de Beethoven (dont cette fameuse Neuvième) et de Brahms, et un prix serré. Autre atout, un CD documentaire qui explique bien les traits essentiels de sa direction, transcendance, magnétisme, vigueur, fraîcheur de l'inspiration. Il évoque en peu de mots mais bien choisis la période de la guerre, l'importance pour les Berlinois de la présence de Furtwängler incarnant la vraie Allemagne face à Hitler («Furtwängler was NOT a nazi»), et il mentionne même la cabale menée contre lui aux Etats-Unis par de grands musiciens, dont les motivations ne relevaient peut-être pas uniquement de la lutte anti-nazie. Le CD est uniquement en anglais, mais la prononciation est lente et l'articulation intelligible, et permettra aux amateurs connaissant un peu l'anglais de comprendre le texte.

Principal regret : les autres enregistrements n'ont pas été remastérisés, et les amateurs de dynamiques et de clarté auront intérêt à se reporter vers les labels Naxos, Tahra, Testament, Opus Kura et les différentes Sociétés . Quant au titre The Great EMI Recordings, il donne à penser qu'il s'agit d'une intégrale des enregistrements réalisés par EMI, ou du moins d'une sélection des meilleurs d'entre eux, or il manque rien moins que la Walkyrie, Don Giovanni, des extraits de Wagner avec Flagstad, un récital Wolf avec Schwartzkopf ou encore les Lieder eines Farhenden Gesellen avec Fischer-Dieskau.

Il reste que ce coffret est une superbe aubaine, où le niveau interprétatif va du remarquable au prodigieux, avec au sommet le Concerto n°2 de Bartók avec Menuhin, les Symphonies n°3 et n°4 de Brahms, n°8 de Schubert, n°1, 4, 6 et 9 de Beethoven, Tristan et Fidelio. Ne boudez pas les Tchaïkovski, Mozart ou Haydn, ils sont d'une hauteur de vue et d'une élégance hors du temps et des modes. Les générations de chefs se succèdent mais la fascination reste, (né en 1933), Daniel Barenboim (né en 1942), Valery Gergiev (né en 1953), Paavo Järvi (né en 1962), Yannick Nézet-Séguin (né en 1975), tous ont témoigné de l'importance et de l'actualité de l'art furtwänglérien.

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