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The Second Woman ou les anamorphoses de Frédéric Verrières

«The Second Woman raconte l'histoire d'une transformation» nous dit Bastien Gallet, dont le livret s'inspire librement du film Opening Night de John Cassavetes.

Cette «aventure» risquée mais totalement assumée, qui réunit, autour du librettiste, le compositeur et le metteur en scène est en fait le fruit d'une écriture à trois ; dans l'esprit du work in progress où l'œuvre se construit en même temps qu'elle se déroule. Certaines scènes ont d'ailleurs été improvisées lors des répétitions ; ainsi le texte mêlant le français et l'anglais réserve-t-il différents niveaux de langage allant du réalisme des dialogues parlés à l'onirisme lorsque l'héroïne sombre dans la folie.

Théâtre dans le théâtre, The Second Woman nous fait assister à la répétition d'un opéra, du travail avec le piano à la générale avec orchestre, durant laquelle la cantatrice – captivante Elisabeth Calleo – manifestement perturbée s'interroge sur sa voix, son métier en nous entraînant peu à peu dans son cauchemar où elle est bientôt poursuivie par son double – la colorature – qui la hante autant qu'il la porte.

«Tout s'organise à partir d'une musique qui n'est pas la mienne» avoue qui va travailler à la manipulation et la transformation (incluant celle de l'électronique) d'un matériau préexistant : familier de ce qu'il appelle ses «anamorphoses», Verrières fait en effet défiler le répertoire lyrique en un véritable travelling stylistique allant de Purcell à Strauss en passant par Donizetti, Puccini, Bartók, Delibes, Debussy… mais ces citations – autant de symptômes du questionnement de la cantatrice – que Verrières soumet à sa réécriture sont ainsi remodelées et charriées dans un flux dramaturgique qui leur donne leur saveur et leur sens : ainsi La Chevelure de Debussy, une mélodie que l'on entend deux fois, sublimant le lien érotique entre la cantatrice et son spectre.

Un troisième personnage, celui de la chanteuse pop – lumineuse Jeanne Cherhal – incarne l'univers de la musique populaire dans lequel elle essaye d'entraîner le baryton Jean-François Bou : concurrence sérieuse, pour le chant lyrique comme pour la cantatrice, qui suscite quelques francs décalages dans le suivi de l'intrigue. Le ton est donné dès le début du spectacle – très belle entrée en matière sonore et visuelle – par ce chant bulgare dont la chanteuse pop sait, mieux que celle qu'elle remplace, transmettre l'intensité et la couleur.

L'espace lui-aussi se transforme, en se déployant peu à peu, dans la mise en scène judicieuse de où, à la faveur de deux tombées de rideau assez spectaculaires, l'orchestre – superbe – est enfin visible, adossé au mur du fond. Dirigeant tout ce petit monde avec l'autorité qu'on lui connait, participe aussi à la mise en scène en apparaissant sur plusieurs écrans placés au-dessus du public.

Autant d'idées faisant éclater les cadres traditionnels d'un genre repensé ici au gré d'un imaginaire foisonnant qui fait converger avec une belle fluidité l'image, le geste et la musique : à découvrir absolument.

Crédit photographique : © Pascal Victor / ArtComArt

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