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Les dévotions mariales de la cour

L'histoire est bonne fille car la capitale de l'Aragon aurait de bonnes raisons d'en vouloir à la France pour longtemps. Elle s'est d'abord vigoureusement opposée à Louis XIV lors de la guerre de succession d'Espagne au cours d'une bataille fameuse en 1710, puis survécut au massacre perpétré par les armées napoléoniennes, qui valut le surnom de « Boucher de Saragosse » au maréchal Jean Lannes, l'ami de l'empereur.

De l'eau a coulé sous les ponts de l'Ebre et c'est tout naturellement qu'en mai, le festival de musique ancienne de la chapelle royale Sainte Isabelle de Portugal invitait Les Passions, qui devenaient ambassadeurs de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles.

Déjà interprété au Palais Farnèse à Rome, au festival Música, Història I Art de Valence, puis à Strasbourg dans l'église calviniste du Bouclier, ce programme de musique française du grand siècle autour de Charpentier est en passe de devenir une carte de visite des Passions. D'ailleurs, ce sera l'objet de leur prochain enregistrement.

Deux pièces instrumentales de Marin Marais et encadraient des Motets à trois voix de en un bel équilibre entre les voix et l'ensemble instrumental composé de deux violons, deux flûtes à bec et un riche continuo avec une basse de violon, un théorbe et une alternance entre clavecin et orgue positif.

Le dialogue In circumcisione Domini entre les anges et les bergers, créé pour la chapelle privée de Mademoiselle de Guise en 1683, se présente comme un petit oratorio pour la fête de la circoncision du Christ. La simplicité de Charpentier associée à sa richesse harmonique caractérise le travail tout en finesse des Passions avec une belle harmonie des trois voix à la diction latine parfaite.

On apprécie hautement le charme intime, à la fois aimable et dansant, de la suite de Marin Marais, sans doute composée pour la chambre du roi. Le joyeux babil à deux chœurs entre la flûte de et le violon de répond parfaitement à celui émanant du violon de et de la flûte de Stéphanie Cettolo. Ils s'écoutent, prennent du plaisir et en donnent autant au public.

Le niveau monte d'un cran avec les litanies à la Vierge de Charpentier où les fusions de voix entre le contre-ténor et le ténor dans une tessiture très élevée offrent des moments superbes, soutenus par la grande maîtrise des instrumentistes. De la même veine, le Salve Regina de 1677 pour la chapelle de Guise dut donner quelques frayeurs à sachant que Charpentier tenait lui-même la partie de haute-contre lors de la création, mais cela n'altérait en rien la parfaite prosodie latine des trois chanteurs. Les trois voix solistes ne s'en équilibraient que mieux.

C'est dans les quelques mouvements du 3e Concert Royal de Couperin que l'excellente continuiste Aline Zylberajch, bien connue pour ses prestations aux côtés du Parlement de Musique de Martin Gester, put donner la mesure de son talent de chambriste. Les parties solistes éblouissantes du clavecin ne peuvent faire oublier qu'il donne d'abord mesure et rythme pour l'ensemble du concert. La vivifiante muzette magnifiée par et ouvre sans aucun doute les oreilles les plus rétives, ainsi qu'elle adoucit les cœurs endurcis.

Le Magnificat qui conclut le concert est l'une des dix partitions composées par Charpentier sur ce texte essentiel de la liturgie, valorisé par la contre-réforme. Bien qu'il fût employé par les jésuites parisiens pendant une dizaine d'années après la mort de la duchesse de Guise en 1688, ce Magnificat date de son retour d'Italie en 1670 où il fut fortement influencé par Carissimi. Il est fondé sur une basse obstinée, qui permet des variations continues et extrêmement colorées où violons, flûtes et voix se répondent à l'infini. Une « drogue dure » tant elle s'impose à l'oreille des auditeurs selon l'expression de , qui goûte ces défis avec un plaisir malicieux que chanteurs et musiciens partagent avec un plaisir communicatif. Il s' impose naturellement au rappel, histoire de sortir envoûté par ce rythme entêtant.

Nous attendrons avec impatience l'enregistrement à l'automne de ces motets à trois voix d'hommes et la sortie du disque.

 

Crédit photographique : © Alain Huc de Vaubert


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