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Caprices russes

Hormis la couleur nationale et la contemporanéité des œuvres, la cohérence – expressive, formelle, poétique – de ce programme de concert laisse le mélomane sur sa faim. Manifestement, l', qui est pourtant une entreprise privée (seul son talent lui a récemment apporté des subventions publiques), reprend la morne habitude d'un orchestre public en tournée : il balade son répertoire national, comme si le Concerto pour violon n°2 de Prokofiev et la Symphonie n°9 de étaient absents de nos salles de concert ! (Rappelons-nous les tournées de l'Orchestre national de France, alors conduit par Lorin Maazel ou Charles Dutoit, avec les mêmes œuvres obligées de Berlioz, Debussy, Ravel et Roussel).

Musique de commande officielle à la gloire du communisme soviétique et écrit en l'honneur du trente-septième anniversaire de la Révolution d'octobre, Ouverture de fête est délicate à défendre, à moins que le chef d'orchestre n'y mette en scène une ravageuse ironie. Loin de cette intention, en fait une froide et démonstrative étude de son orchestral et … tombe à plat.

Certes, avec son alliage de motorisme néoclassique et de lyrisme, le Concerto pour violon n°2 de Prokofiev n'est pas toujours aisé à saisir. Mais, ce soir-là, et ne se sont pas trouvés, tels deux rameurs dans un esquif qu'ils ne parviennent pas mouvoir avec rectitude et fluidité. A même apparu une évidence : , musicien souvent passionnnant, est un rythmicien inconstant, ni fin ni rigoureux. Témoin le mouvement médian : le temps musical, à l'orchestre, y fut si hoquetant que jamais ne put épanouir son chant. Et, à cette évidence, s'est jointe une hypothèse : et si, comme nombre des solistes qui dirigent aussi, Mikhaïl Pletnev ne savait (à la wallonne : entre «savoir» et «pouvoir», entre compétence et possibilité) pas accompagner un soliste ? Soyons juste : sans doute conscients de s'être ratés, et Mikhaïl Pletnev cheminèrent, enfin, de concert, dans le bis – le deuxième mouvement de ce concerto, enfin suspendu – et avivèrent d'autant nos regrets.

La complexe Symphonie n°9 de Chostakovitch a également laissé Mikhail Pletnev hésitant, au point d'en éliminer le grinçant et le sarcastique, de n'en pas saisir la palette du faux naïf qui en constitue le sel. Néanmoins, la marge de manœuvre que le compositeur, habile, laissa aux bois de l'orchestre est si grande que les premiers flûtes, clarinette et basson, ont prodigué des sonorités ahurissantes. Nommons ces grands artistes : à la flûte, Maxim Rubtsov développe des graves charnus et envoutants ; le clarinettiste Nikolai Mozgovenko possède une palette articulatoire illimitée et un rare sens poétique ; enfin (et peut-être encore plus remarquable), Alexey Sizov est le plus grand bassoniste d'orchestre que, en trente-cinq ans de concert, le rédacteur de cette chronique croit avoir entendu : il offre des aigus identiques au bas médium d'un cor anglais, tandis que son abyssale quinte grave le rapproche d'un contrebasson ; ajoutons un tempérament lyrique et sauvage, une époustouflante longueur de souffle et une musicalité souveraine, on devine quelle perle l' tient en ce musicien d'élite. Dans ce quatuor de bois solistes, on savoure l'autonomie sonore de chaque registre et un admirable art du legato articulé qui, hormis à l'Orchestre des Champs-Élysées, ont presque disparu de notre Occident.

Tout au long de ce concert, l'Orchestre national de Russie a rappelé qu'il compte au nombre de la trentaine de bonnes phalanges européennes. Toutefois, on y déplorera des cuivres et une percussion trop clinquants et trop égocentriques, sans doute parce que Mikhaïl Pletnev l'entend ainsi…

Crédit photographique : Vadim Repin © Kasskara / DG

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