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Intégrale Mahler par Tennstedt et le London Philharmonic

Un hommage d'EMI à se devait de proposer une nouvelle édition de ses enregistrements officiels dédiés à . Ainsi, en 16 disques, l'amateur retrouve la quasi-totalité des galettes éditées par la firme.

On pointe le cycle studio complet enregistré entre 1977 et 1986 auquel s'adjoignent des témoignages de concert des Symphonies n°5 à n°7 captées entre 1988 et 1993 et qui furent édités séparément. La symphonie n°7 de 1993 est d'ailleurs l'ultime concert du chef avec son London Philharmonic. En matière de cycles vocaux, si l'on retrouve le Lied von der Erde, il manque à ce coffret la belle gravure du Knaben Wunderhorn avec et Bernd Weikl enregistrée en 1985/1986.

À l'époque des Mahler conceptuels (au fond historiquement initiés par l'intégrale Inbal/Denon pour sa propension alors novatrice de privilégier la forme sur le fond), propre sur eux, ultra-mis en place et ripolinés de partout, le Mahler de Tennstedt a de quoi étonner ! C'est brut de fonderie, brassé, parfois hurlé avec un orchestre qui rugit ou qui clame ses douleurs et ses dépressions, mais c'est incontestablement du Mahler contrasté et terriblement humain. Moins excessif dans ses choix interprétatifs que la seconde intégrale Bernstein (DGG), ce Mahler terrestre doit tout de même s'apprivoiser.

Peu porté sur la précision pour la précision, Tennstedt travaille une matière orchestrale incandescente et cherche un son qui privilégie l'émotion directe et l'impact tranchant sur la beauté. Ainsi, la Symphonie n°4 n'a rien d'une méditation céleste ou d'un rêve nostalgique, mais devient une sorte de bal tragique sous acide avec un orchestre acerbe guidé par une battue cauchemardesque. Les Symphonies n°6 et n°7, terriblement expressives, restent des œuvres où Tennstedt est inégalable. Le rouleau compresseur orchestral mit en place dans la Symphonie n°6 s'avère tétanisant, tout comme la Symphonie n°7, longue marche funèbre étouffante et angoissée. La célèbre Symphonie n°5 s'impose comme un massif granitique marqué par la rugosité de ses paysages orchestraux. Les Symphonies n°2 et n°3 sont également arrachées avec une force intrinsèque unique. La Symphonie n°9 poursuit dans cette mécanique implacable, déchirée et parfaitement étouffante dans ses mouvements d'introduction et de conclusion. Le premier mouvement de la Symphonie n°1 n'est pas un éveil primesautier de la nature, mais un assaut sur les braises de l'empire d'Autriche-Hongrie. Cette lecture interrogative, bourrue, mais stylistiquement juste et fascinante, ne ménage pas l'auditeur. La Symphonie n°8, grand triomphe de l'intégrale, est portée par une force cosmique inéluctable. Orchestre, chœurs et solistes fusionnent dans un paroxysme musical intense.

Le Chant de la terre apparaît expérimental, tout d'abord avec la contralto Agnes Baltsa (à l'allemand très exotique), plus aérienne et objective là où ses consœurs se font plus tragédiennes et engagées. Touché par cette artiste, le chef se fait plus transparent et fluide, surtout dans un «Abschied» final parfois murmuré et presque mozartien et soudain traversé de nuages noirs et orageux. Certes, cette lecture curieuse s'impose comme un complément de discographie, mais témoigne du génie du chef aux idées souvent fulgurantes.

Les trois symphonies gravées en concert, au tournant des années 1980/1990, témoignent de la constance de la vision du chef. Les tempi n'ont guère évolué si ce n'est d'un chouia sur certains mouvements. Capté live, le London Philharmonic est plus énergique mais parfois plus brouillon dans son adaptabilité aux sollicitations du chef. C'est presque un magna en fusion qui explose sous une battue qui souligne au marqueur les contrastes et les variations de tempo.

Tout au long de ce parcours, le London Philharmonic fait corps avec la vision du chef. Certes, ce n'est pas Berlin, Vienne ou Amsterdam, le fini instrumental est souvent imparfait et les tutti sont brutaux, d'autant plus que le chef taille des pointes aiguisées là où la plupart de ses confrères polissent les angles.

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