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Un ultime adieu de Pina Bausch

Ultime chorégraphie de avant sa mort brutale en juin 2009, « …come el musguito en la piedra, ay si, si, si… » a été créée au Chili. Une terre riche pour toute la compagnie, désormais orpheline.

Les chercheurs de places de dernière minute agitent leurs écriteaux bien en vue dès la sortie du métro. C'est dire à quel point cet ultime témoignage du génie chorégraphique de attise le désir des spectateurs du Théâtre de la Ville. Pendant 32 années, le plus souvent en fin de saison, la scène de la place du Châtelet aura accueilli le . Les pièces mythiques (Nelken, Café Muller…), puis les souvenirs de voyage proches ou lointains (de Palermo, Palermo à Néfes) auront été présentés à guichets fermés, grâce à l'obstination de Gérard Violette qui a fait découvrir au public parisien.

La dame de Wuppertal exerce depuis toujours une fascination absolue sur les amateurs de danse, mais aussi de théâtre, auquel elle emprunte les codes et l'universalité. Avec ses fidèles danseurs (certains sont là depuis le début), elle a exploré l'âme humaine, le féminin et le masculin, le désir d'absolu de chaque individu. Dans une exigence toujours renouvelée, chaque jour peaufinée dans le studio ou sur le plateau, jusqu'à l'obtention du geste parfait, à l'intention indicible. C'est encore le cas ici avec « …come el musguito en la piedra, ay si, si, si… » créé à Wuppertal en juin 2009, quelques jours avant la mort de la chorégraphe.

Des couples que l'on sépare, des pierres que l'on jette, de l'eau que l'on force à avaler – tout évoque les années noires du Chili, celles du coup d'état, puis de la dictature du général Pinochet. Le sol, fissuré, porte encore les stigmates de cette fracture de la société chilienne. Sous les pieds de la danseuse qui offre un superbe solo sur les paroles de l'opposant Victor Jara (qui donnent leur titre au spectacle), le plateau craque comme une banquise et se sépare en plaques disjointes.

Ce spectacle, réglé par la chorégraphe, donne l'occasion de voir une compagnie largement renouvelée – des jeunes danseurs pour lesquels Pina Bausch a néanmoins eu le temps de créer. Leur recrutement donne plus de vigueur à la compagnie et modifie l'image du corps bauschien, faisant entrer la notion de virtuosité, d'endurance, voire de performance et une modernité nouvelle. Plus physiques, plus résistants, ils peuvent enchaîner trois heures durant des solos exigeants sans montrer de signes de fatigue… Ces dernières années, Pina Bausch avait en effet opéré un retour marqué à la danse, espaçant les saynètes théâtrales qui avaient fait son succès dans les années 2000.

Comme toujours, les femmes sont dominatrices et courtisées, les hommes romantiques et séducteurs. Des unissons joyeux, en file indienne, rassemblent la compagnie dans des gestes tendres et généreux, comme un au revoir et surtout pas un adieu. Seul « senior » de la troupe, Dominique Mercy, devenu co-directeur depuis la mort de la chorégraphe, fait encore dire à son corps des choses merveilleuses dans un long solo sur fond de flûte de pan.

Plus que les musiques mondialisées qui essaiment le spectacle, ce sont en effet les authentiques chansons chiliennes qui donnent lieu aux moments les plus émouvants du spectacle. Un spectacle néanmoins trop long (trois heures !) dont les effets se diluent faute de dramaturgie et de fil conducteur. Restent tout de même quelques images marquantes : une femme qui se balance au cou d'un homme, une autre qui transporte un arbre sur son dos, et une immense admiration pour cette compagnie exceptionnellement humaine qui porte aujourd'hui la responsabilité d'un répertoire.

Crédit photographique  : © Anja Beutler; © Ursula Kaufmann

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