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Lucia di Lammermor à Turin

Au sortir d'un spectacle, on se dit parfois qu'avec un tout petit plus, la soirée se serait hissée au pinacle des inoubliables moments de l'art lyrique.

Un plus d'engagement et de générosité artistiques. Mais parce que trop souvent les chanteurs se préoccupent de la qualité de la note qu'ils chantent plutôt que d'incarner le personnage qu'ils campent en scène, la représentation tombe dans la banalité du déjà-vu ou de la convention théâtrale. C'est le piège dans lequel tombe cette pourtant belle production de la célébrissime Lucia di Lammermoor de Donizetti, quand bien même on se souviendra de la beauté coloriée de la scène du mariage occupant toute l'ouverture de scène.

Créée en 1996 pour le Maggio Fiorentino en coproduction avec le Grand Théâtre de Genève, quinze plus tard, la mise en scène de n'a pas pris une ride. Alliant une certaine modernité avec son décor suggestif et la tradition dans sa manière simple et claire de raconter le drame, affirme son talent. De grands panneaux peints de ciels tourmentés glissent en s'ouvrant sur une rude prairie des Highlands écossais baignée d'une énorme lune d'argent. Quelques arbres battus par le vent complètent un décor aride, témoin de la rigueur dramatique qui entoure cette œuvre de Donizetti. Les personnages, vêtus des costumes apanages de leurs statuts religieux s'inscrivent parfaitement dans la querelle opposant les familles protestantes des Ashton à celles catholiques des Ravenswood.

Le décor planté, les costumes dessinés, il ne resterait plus qu'à ce que chacun des protagonistes exprime ses convictions politiques, sentimentales et amoureuses pour qu'on assiste à un véritable théâtre d'émotion. Si c'est ce que dit le livret, et ce que la mise en scène de suggère si habilement, rares sont les protagonistes qui s'engagent pleinement dans l'esprit de ce qu'il vivent pendant ces presque deux heures de spectacle. Certes, Fabio Maria Capitanucci () s'investit admirablement dans l'aventure, en faisant le dominateur du plateau grâce à une voix superbe et un jeu d'acteur subtil et efficace. A ses côtés, (Edgardo) est tout aussi convaincant dans cet emploi de soupirant éperdu. La voix puissante et vaillante du ténor italien sert magnifiquement cette partition. Après l'ouverture du second acte, sans l'idée d'insérer la scène souvent supprimée de l'orage, la représentation aurait été privée du plus beau moment de bel canto avec le duo entre (Fabio Maria Capitanucci) et Edgardo (), instant privilégié entre les deux meilleurs protagonistes de cette distribution.

Mais le bât blesse avec l'interprétation du rôle-titre. La mise en scène originale pouvait compter sur , une Lucia mythique. Si Graham Vick avait personnellement dirigé la soprano Elena Mosuc, considérée par beaucoup comme LA Lucia du moment, il est certain qu'elle aurait été beaucoup plus crédible que l'image qu'elle donne. Si son admirable technique vocale fait merveille dans tout le registre de cette partition, avec ses aigus, ses pianissimi, son excellente diction, elle reste néanmoins loin des canons d'interprétation théâtrale que demande ce rôle. Un problème qui surgit particulièrement dans les fameuses scènes de folie de Lucia. Qui sait un peu de la folie au sens médical du terme, ne permettra pas de se contenter d'une chanteuse, aussi techniquement préparée soit-elle, qui ne laisse jamais transparaître le déséquilibre mental qui l'habite à la suite du meurtre de son mari. Pourtant, c'est exactement ce que l'on ressent avec Elena Mosuc. S'écoutant chanter, s'ingéniant à offrir la plus belle note de son instrument, elle oublie totalement l'aspect théâtral de ses scènes. Elle voudrait être Lucia, mais jamais elle n'entre dans sa folie, dans son désespoir.

Dans la fosse, le chef italien surprend. Pourtant habitué à l'opéra italien, il semble diriger en alternative les chanteurs ou l'orchestre, générant de multiples décalages. Usant de tempi de sénateurs, la musique de Donizetti perd de son brillant et l'orchestre du Teatro Regio de sa verve.

Crédit photographique : Fabio Maria Capitanucci (Enrico), Elena Mosuc (Lucia) ; Fabio Maria Capitanucci (Enrico), (Arturo) e (Edgardo) © Ramella & Giannese/Fondazione Teatro Regio di Torino

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