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Franck Bedrossian, la subversion du geste

Ce nouvel album monographique de réunit six pièces assez proches dans le temps (2007-2008) exceptée La Solitude du coureur de fond (2000) qui, dans le cadre de cet enregistrement, est « retaillée sur mesure » pour l'instrument de . Emblématique de la démarche menée depuis une dizaine d'années par le compositeur dans le domaine de la saturation instrumentale, cette pièce fascinante pour saxophone alto fait figure d'étude – au sens où l'entendait Debussy – sur l'énergie du son et la tension du jeu instrumental qui, portée jusqu'à l'excès, assume l'éventualité d'une perte de contrôle de l'exécutant.

Pensée elle aussi pour le virtuose hors norme qu'est , Bossa Nova (2008), la deuxième pièce soliste de cet album, transfigure l'accordéon que Bedrossian « attaque » sous tous ses angles: des sons subliminaux d'un registre aigu quasi électronique à la granulation mate du registre grave, l'instrument éructe, grogne, s'ébroue, frissonne dans une chorégraphie de gestes d'une étonnante plasticité; une qualité qui prévaut dans l'étonnant Tracés d'ombres (dédié à Allain Gaussin), une des pièces les plus radicales en matière de saturation pensée dans le cadre intimiste du quatuor à cordes et loin des limites du jeu instrumental traditionnel. La matière inouïe autant que sensuelle façonnée dans la masse des seize cordes pointe « ce nouvel idéal de beauté » que Bedrossian appelle de ses voeux; soumis à une brusque accélération dans la dernière partie, le matériau se gorge de vitalité et ravive ses couleurs au sein d'une écriture virtuose et étonnement ductile. Ce travail inventif et raffiné sur la vitesse qui densifie les textures ou les étire jusqu'à la transparence s'exerce également dans Propaganda (2008) où l'étrangeté des morphologies dessinées dans l'espace de résonance s'origine dans l'hybridation des sources sonores, instrumentale – celle d'un quatuor de saxophones – et électronique.

La relation de plaisir – parfois violent – au phénomène sonore ressentie chez Bedrossian s'incarne à l'évidence dans Manifesto, une pièce pour huit instruments à vent aux émanations sonores sidérantes, conçue dans la même année féconde de 2008; on y sent, sous-jacent, le geste aiguisé et réactif de Pierre Roullier insufflant cette frénésie rythmique et colorée dans un espace mouvant et minutieusement articulé.

Par son envergure temporelle et la puissance énergétique phénoménale qui la projette, It pour sept instruments est la pièce la plus impressionnante – les instrumentistes de l'Ensemble 2e2m le sont tout autant! – de cet album qu'elle inaugure. On y retrouve le son « laryngé » à la pigmentation rare forgée par Bedrossian mais déployé ici avec une énergie qui en réfère au jazz et à son geste libéré par le flux de l'improvisation. Les riffs du saxophone percutent comme la fusion des timbres frénétiquement distordus par la subversion du geste… laissant la pièce se terminer « sur l'erre », par dissipation naturelle de l'énergie.

 

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