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La musique derrière les barbelés

Ce n'est pas le premier ouvrage que consacre à la Shoah; en 2006, avec « De Weimar à Térézine », il s'intéressait à « l'épuration musicale » entre 1933 et 1945; un thème qu'il reprenait en 2008, en tant que compositeur cette fois, dans sa fable musicale Charlie (voir notre article du 20-V-2010);  mais jamais encore il ne s'était arrêté sur le chapitre « musique et camps de concentration » qu'il aborde ici en des termes pertinents autant que percutants conférant au sujet sa pleine résonance.

Engagé, précis et toujours réactif, le récit que l'auteur fait de « ces moments qui blessent la mémoire » repose sur une documentation extrêmement fouillée (photos, dessins de déportés), des témoignages de première main (comme celui de Violette Jacquet-Silberstein), et une recension systématique des compositeurs, œuvres, chansons… témoignant de la place qui était faite à la musique dans le système concentrationnaire nazi; le tout exposé sans lyrisme ni pathos; les faits parlent d'eux-mêmes, tels ces encadrés – l'arrestation musclée d'un musicien, le portrait d'un Kapo – qui rythment la rédaction et lui donne sa fulgurance.

Dans cette trajectoire de l'horreur, Giner procède de manière chronologique, des premiers camps construits à Dachau dès 1933 puis à Auschwitz, Neuengamme… en 1939, jusqu'aux camps d'extermination (Birkenau et Theresienstadt) en s'arrêtant sur les camps de prisonniers (« La musique française au Stalag ») où Messiaen va créer son Quatuor pour la fin du temps; il montre comment la musique derrière les barbelés fut réquisitionnée par les Nazis pour collaborer à l'extermination des juifs mais aussi des Tsiganes en pointant la question restée sans réponse: « Comment peut-on jouer Schubert le soir, lire Rilke le matin et torturer à midi? »; dans la liste terrifiante des musiciens déportés et gazés, le cas de Viktor Ullmann (1898-1944) interné dans le ghetto de Theresienstadt et écrivant son chef d'oeuvre Der Kaiser von Atlantis est particulièrement poignant comme le destin tragique d'Alma Rosé, nièce de Gustav Mahler et violoniste professionnelle qui prend la direction de l'orchestre de femmes de Birkenau pour assurer sa survie et celle des instrumentistes qu'elle recrutait.

L'auteur mentionne in fine l'important corpus d'œuvres (de Schoenberg à Manoury) et de chansons dédiées aux victimes de l'holocauste: des œuvres pour mémoire comme l'est aussi cet ouvrage, essentiel autant que bouleversant, qui en appelle à la vigilance: « la mémoire se doit être active, souligne , et doit pouvoir à tout moment se transformer en vigilance.»

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