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Semi-monumentale Édition Telemann chez Brilliant

Brilliant Classics nous a habitués à ses célèbres boites de CDs imposantes souvent consacrées à la quasi-intégrale de l'œuvre de compositeurs connus. Dans le cas de (1681-1767), le label hollandais s'est judicieusement et sagement limité à 29 CDs audio (plus un CD-ROM reprenant notices ainsi que textes des parties chantées), car non seulement l'œuvre du compositeur allemand est innombrable, mais surtout beaucoup de ses partitions ont disparu : rien qu'en ce qui concerne les Ouvertures (Suites) pour orchestre, dont ce coffret nous propose une trentaine d'exemples bien choisis, Telemann devait particulièrement en apprécier la forme, puisqu'il est supposé nous en avoir légué environ un millier dont ne nous est parvenu qu'une partie…

Le vinyle microsillon s'est révélé instrumental dans la propagation de l'œuvre de grands compositeurs baroques dont il serait actuellement impensable d'ignorer les noms : avant les années 50, Vivaldi nous était pratiquement inconnu, de même qu'avant les années 60, Telemann nous l'était tout autant.

Et soudain, vers 1965, pratiquement simultanément, parurent deux intégrales des trois Productions de la Musique de Table : celle d'August Wenzinger chez Archiv Produktion, et celle de chez Telefunken – Das Alte Werk. Ce furent deux réalisations d'une grande probité et d'une importance telle qu'elles situèrent le nom de Telemann définitivement auprès du mélomane au même niveau que ceux de Bach ou Händel. Dès lors, le disque n'a cessé de nous combler et nous émerveiller de son art à l'invention intarissable et rayonnante de vie, imprégnée par la musique italienne mais qui révèle souvent l'influence française et l'esprit nouveau menant au style galant et rococo, voire même au pré-classicisme.

Évidemment, depuis les diverses parutions au fil des années, il est plus que probable que ce coffret Brilliant Classics soit la réalisation la plus somptueuse jamais consacrée à Telemann, et elle est d'autant plus recommandable qu'elle est parfaitement équilibrée en son programme : on y trouve Suites pour orchestre, concertos pour divers instruments (notamment pour hautbois et pour trompette), de multiples pages de musique de chambre dont les fameux Quatuors Parisiens et les 12 Fantasias pour flûte solo, mais également des œuvres avec voix comme plusieurs cantates et l'Oratorio-Passion « Das selige Erwägen des bittern Leidens und Sterbens Jesu Christi »… Comme on peut le constater, durant sa longue carrière, Telemann a touché à tous les genres, mais aussi à tous les styles de son époque.

Les dates d'enregistrement se répartissent entre 1981 et 2008. C'est dire qu'elles couvrent une période où voisinent plusieurs conceptions interprétatives de la musique baroque, ce qui amène parfois à un procédé typique de certains baroqueux qui énerve lorsqu'il devient systématique : pratiquer un arrêt, une sorte de suspension juste avant l'accord final (qu'évidemment on s'empresse de gonfler) d'un mouvement. C'est d'un précieux, et même d'un prétentieux agaçant : la musique est aussi un langage, et si un comédien disait un texte – ou si n'importe qui parlait – en faisant ce genre d'arrêt suspensif avant le mot final d'un paragraphe, on le trouverait totalement ridicule ! Mais curieusement, en musique baroque, on estime cela normal… et pourtant, ridicule, c'est exactement ce qu'est cette pratique anti-musicale qui, bien sûr, n'est pas indiquée dans les partitions ni corroborée par aucun traité… C'est malheureusement ce qui dénature les exécutions des Suites pour orchestre par Patrick Peire et son ensemble instrumental brugeois qui veulent à tout prix soi-disant « faire baroqueux », et cela hélas durant 8 CDs… Et pour une oreille particulièrement sensible, y entendre la belle Suite en la mineur pour flûte à bec, cordes et basse continue TWV 55:a2 par l'impossible soliste Ruth Van Killegem qui joue parfois avec un diapason plus bas que celui de l'orchestre (l'Air à l'Italien !), est un vrai supplice proche du mal de mer !…

Heureusement, d'autres ensembles de cette réalisation ne tombent pas dans ces pièges : c'est le cas de l'excellente Academy of St-Martin-in-the-Fields dans les Concertos pour hautbois (avec le toujours impeccable ), ou les brillants Ensemble Tripla Concordia avec le remarquable (qui lui joue juste !) comme soliste des Sonates pour flûte à bec, l'ensemble Musica Amphion sous la direction de Pieter-Jan Belder dans la Musique de Table, et l'ensemble Musica ad Rhenum dans les Quatuors Parisiens, dont le directeur Jed Wentz nous livre par ailleurs une splendide version des 12 Fantasias pour flûte solo. Si l'on ajoute que tous les solistes vocaux et les chœurs sont impeccables dans les œuvres vocales, on conviendra que ce coffret Telemann fera la joie de bien des amoureux de musique baroque, bien entendu sous réserves précisées plus haut.

Et en prime, les amateurs de passionnantes comparaisons auront le bonheur d'y trouver un doublon (sans doute fortuit du label) : l'Ouverture en ré majeur pour deux corni da caccia, deux hautbois, cordes et basse continue TWV 55:21 est présente sous deux versions, dont celle du bien connu Musica Antiqua Köln sous la direction de Reinhard Goebel.

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