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Festival de Salzbourg, Macbeth de Sciarrino

Depuis l'arrivée de Gerard Mortier à la tête du Festival de Salzbourg en 1992, la musique contemporaine triomphe dans le plus prestigieux des festivals classiques du monde.

En 2007, l'arrivée à la direction des concerts du pianiste Markus Hinterhäuser, qui avait fait ses débuts de programmateur sous Mortier, n'a fait que renforcer la tendance. En 2008, il avait ainsi consacré la série annuelle Continents au compositeur sicilien , qui avait remporté ainsi un triomphe mémorable de concert en concert. Cette année, pour la dernière édition des Continents, Sciarrino ne pouvait manquer, et le public de 2008 s'est visiblement souvenu de la réussite de la série, puisque les deux concerts consacrés à son opéra Macbeth ont très vite affiché complet, tout comme les deux concerts consacrés au plus difficile Prometeo de Nono.

Et si d'assez nombreux départs, sans doute liés au choix désastreux de certains spectateurs de ne pas s'aider du livret, ont émaillé le concert, la durée impressionnante de l'ovation finale n'a pas démenti l'attachement désormais incontestable du public salzbourgeois pour la musique contemporaine en général et Sciarrino en particulier.

Sans doute le fait que la musique de Sciarrino ne renie pas ses attaches dans la tradition de la musique italienne et de l'opéra verdien favorise-t-il l'appréhension par le public de cette musique d'un grand raffinement sonore, mais sans la moindre facilité. Les vingt-cinq musiciens de l'orchestre, dont une partie est cachée en arrière-scène, jouent une véritable partition de musique de chambre. Les tutti y sont d'autant plus impressionnants qu'ils sont rares ; Sciarrino sait admirablement susciter, au sein d'une instrumentation somme toute assez classique, une infinité de couleurs sonores. Mais le travail de Sciarrino ne se limite jamais à un séduisant hédonisme des couleurs : plus encore sans doute que dans d'autres œuvres antérieures, Sciarrino écrit avec cet opéra créé en 2002 une partition d'une grande force dramatique, où l'original shakespearien est réinterprété avec une grande pertinence et une attention admirable à la progression narrative et à la peinture des ambiances : la nuit inquiétante du meurtre de Banquo, avec ses glissandi de l'orchestre, la longue scène de folie de Lady Macbeth, la bataille finale sont autant de moments où l'orchestre s'unit à la voix des chanteurs pour entraîner l'auditeur très loin dans l'émotion fondamentale de la situation dramatique. Le plus extraordinaire moment de tout l'opéra est cependant la scène du banquet où Macbeth est confronté à sa propre culpabilité, véritable tourbillon sonore où l'évocation musicale de ces esprits a de quoi halluciner l'auditeur autant que le personnage de Macbeth.

Cette exceptionnelle puissance dramatique fait qu'on ne regrette presque pas ici l'absence d'une mise en scène, que l'opéra mériterait pourtant pleinement. L'acoustique de la Kollegienkirche, corrigée par de grands voiles transparents suspendus dans les voûtes de la nef et du chœur, confirme en tout cas ses affinités avec la musique de Sciarrino, avec juste ce qu'il faut d'écho pour en faire vibrer les couleurs. L'ensemble de l'équipe réunie par Markus Hinterhäuser est composée de musiciens familiers avec la musique de Sciarrino, dont les deux chanteurs du couple central, qu'on avait pu entendre à Paris chanter Da gelo a gelo, dans l'espace ingrat et trop vaste de l'Opéra-Garnier qui avait mis en péril les équilibres subtils de cette musique ; ils sont ici parfaitement en situation, avec un des meilleurs ensembles germaniques pour la musique contemporaine : comme l'Ensemble Intercontemporain, Klangforum est un ensemble de solistes plus qu'un orchestre aux musiciens anonymes, et on serait bien en peine de mettre en avant l'un ou l'autre pupitre devant leur remarquable engagement pour une musique qui n'a aucune raison de rester enfermée dans les ghettos de la musique contemporaine.

Crédit photographique : © Silvia Lelli

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