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Pour la Lucia de Dessay

Après Parsifal, Le Nez de Chostakovitch, Oedipus Rex et Les Noces de Stravinksy, sans oublier le plus rare Vagabond enchanté de Rodion Chtchredrin, Lucia di Lammermoor est le cinquième coffret lyrique proposé par le label Mariinsky.

Le choix de cet ouvrage pourra paraître quelque peu surprenant, le répertoire belcantiste italien n'étant pas a priori celui que l'on associe le plus spontanément avec les caractéristiques nationales de l'école de chant russe. Et de fait, l'italien du chœur du Théâtre Mariinsky est loin d'être idiomatique, et surtout les solistes de la maison font preuve de la plupart des défauts que l'on pouvait redouter dans ce type de répertoire : émission engorgée, absence de legato, chant axé sur la force de la voix plutôt que sur la souplesse et la beauté de la ligne. Même le Polonais Piotr Beczala, doté d'un des plus beaux ténors lyriques de sa génération et habituellement plutôt musicien, semble vouloir ici rivaliser de puissance avec l'ensemble de ses collègues masculins. On n'en appréciera pas moins sa prestance et sa vaillance, même si le personnage aurait sans doute mérité un traitement un peu moins héroïque…

Dans un tel contexte, la Lucia de , toute de délicatesse, de retenue et de fragilité, fait évidemment figure d'étrangère, voire de paria. Car c'est bien la cantatrice française qui constitue le réel intérêt de cet enregistrement assez déroutant, tant sa voix, aujourd'hui brisée et désunie, s'élève, tel le chant d'un oiseau blessé, vers des sommets d'émotion et de sensibilité. Si l'organe, qui n'a conservé de brillant que son registre suraigu, ferait plutôt penser à celui de Beverly Sills dans ses dernières années de carrière – assurément les plus belles… –, c'est bien de Maria Callas que Dessay tient cette capacité à utiliser les faiblesses de son instrument à des fins purement expressives. Ainsi, si l'on pourra regretter le manque de brillant et de tonicité de « Regnava nel silenzio », ou encore la prudence avec laquelle la cantatrice négocie la plupart des ensembles, la scène de la folie du troisième acte restera pour tous, dans son délire et ses vertiges gothiques, un véritable moment d'anthologie.

Au pupitre, n'est pas le chef que l'on attendrait dans un tel répertoire, mais sa direction alerte et tendue convient parfaitement au dramatisme effréné que sait y insuffler son extraordinaire protagoniste.

Pour cette rencontre explosive, on ne saurait que trop recommander l'acquisition de cet étonnant coffret lequel, malgré ses nombreux défauts, parvient à proposer une décapante relecture du drame ourdi par Walter Scott.

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