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Le Roy en sa bonne ville de Toulouse

La curiosité de L'ensemble des cuivres anciens de Toulouse est sans limites pour le plus grand bonheur des mélomanes. S'ils ne cessent d'explorer et d'exhumer de vastes pans du répertoire entre le XIIIe et le XVIIe siècle, la bande de se permet quelques incursions contemporaines en demandant à des compositeurs d'aujourd'hui de composer pour des instruments anciens ou se commettent de façon gourmande avec des jazzmen selon un rapprochement des modes d'improvisation. Après avoir exploré l'art des troubadours au printemps dernier à travers la poésie occitane et des pièces extraites des manuscrits d'Apt, du manuscrit de Gérone et de la collection de Gaston Phébus, ils en reviennent au siècle d'or de leur instrumentarium.

Avec l'ensemble vocal A Sei Voci, JP Canihac s'est attaché à reconstituer in situ la musique de l'office célébré à Saint-Étienne lors de la visite du jeune roi Charles IX avec sa mère la reine Catherine de Médicis et la cour en 1565. Cette création fut donnée cet été dans le cadre du festival Toulouse d'été.

Les guerres de religions qui ensanglantèrent le royaume de France au XVIe siècle, virent l'extinction des Valois. La mort d'Henri II en 1559, suivi de celle de son fils François II en 1560 laisse le pouvoir à Catherine de Médicis en tant que régente de Charles IX, alors âgé de 10 ans. Après la Paix d'Amboise en 1562, qui promulgue un édit permettant aux Protestants la liberté de leur culte, la reine mère entend réconcilier les Français qui se déchiraient entre Papistes et Huguenots. Elle organise un véritable tour de France de la maison royale et de la cour, qui durera deux ans. Voulant montrer le jeune roi à ses peuples, la reine entame cette équipée à Fontainebleau en 1564 pour arriver à Moulins en 1566. Charles IX est accompagné de son frère le duc d'Anjou  (futur Henri III), du duc d'Alençon et du petit cousin Henri de Navarre (futur Henri IV), entraînant une cour de plusieurs milliers de personnes à travers les provinces du royaume. L'équipée passe par les villes de Troye, Bar-le-Duc, Mâcon, Lyon, Valence, Avignon, Saint-Rémy-de-Provence, Marseille, Arles, Béziers, Narbonne, Carcassonne pour arriver à Toulouse le 1er février 1565. Au-delà de l'intérêt politique d'un tel voyage, chaque séjour donnait lieu à une entrée solennelle et à d'importantes festivités. La chronique toulousaine relatait : « Leurs majestez entèrent dans la ville, l'artillerie tonnant, les trompettes, hault boys, instumens de musique sonnans, les rües tans les forbourgs que de la ville sablée et tapissées, les principales places ornées et embellyes d'arcs, porticques, dômes et pyramides… ».  Arrivant devant la cathédrale, le train royal découvrit « un grand dôme enlevé sur une lanterne et sur chaque angle une pyramide, entre lesquelles pyramides y avoit autour des galeries garnies de balustres de Bresil, où estoit un concert de musique instrumentale… Sa Majesté fut conduicte au chœur de la dicte Eglise où elle prit place en un lieu élevé et éminent qui lui estoit préparé, couvert de velours cramoysi parsemé de fleurs de lis d'or. Lors l'on chanta le Te Deum qui fut respondu de l'orgue ».

Cet essai de reconstitution permit d'entendre pour la première fois depuis plus de quatre cents ans des œuvres retrouvées du maître de chapelle de l'époque Guillaume Boni, qui connut là le couronnement de sa carrière. Il vécut dans l'entourage humaniste du cardinal Georges d'Armagnac, qu'il accompagna dans ses ambassades à Venise et à Rome. Devenu archevêque de Toulouse, le cardinal confia à son musicien le poste de maître de chapelle à la cathédrale Saint-Etienne, qu'il occupa jusqu'à sa mort.

Entrant en procession, chantres et musiciens entonnent à pleins poumons l'acclamation royale Carolus regnat avant d'enchaîner sur le solennel Laudate Dominum à 12 voix de , suivi d'un martial Confitebor tibi Domine de Guillaume Boni. Dans l'ordonnance d'un office royal, le confiant Timor et Tremor de Boni répond à la Symphonie du Miserere de Lassus.

Alternant les motets de Boni et , entrecoupés d'une toccata de Merulo à l'orgue et d'une pièce du rare voisin auscitain Pierre Cadéac, le programme célèbre le triomphe de la polyphonie à la fin de la Renaissance, où l'école franco flamande s'est enrichie des rythmes et des couleurs de l'Italie.

Remplacé par le somptueux Te Deum à 6 voix de , celui de Boni, qui avait tant impressionné le jeune souverain au point qu'il en demanda une copie, n'a pas été retrouvé.

En revanche, son « Quaesumus omnipotens » Deus à 12 voix, ainsi que les « Quatrains du Sieur de Pibrac », annonçant la poésie de Quinault, Colasse ou Charpentier sont des merveilles inédites. Selon une fine précision rythmique et une émotion réelle, les voix des chantres d'A Sei Voci s'associent dans un bel équilibre aux sacqueboutes, cornets à bouquin et muets ou chalemies et autres dulcianes et tambours des souffleurs toulousains.

Ce programme inédit a transporté le public qui emplissait la nef raymondine à l'acoustique domptée par les musiciens. Heureuse époque où malgré les difficultés des temps, les visites des puissants donnaient lieu à de telles réjouissances pour l'esprit !

Crédit photographique : Alain Huc de Vaubert

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