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Robin joue Alain : une intégrale majeure

 

Cette année anniversaire du centenaire de la naissance de se termine en beauté, avec la sortie d'un imposant coffret de trois CDs bien remplis, consacrés à l'univers organistique de celui qui fut l'un des plus grands compositeurs français du XX° siècle. La présente approche apporte beaucoup : d'abord quelques documents quasi inédits nous permettent d'entendre jouant lui-même en 1938 quelques thèmes de l'année liturgique israélite ainsi que des chants captés dans la synagogue parisienne où accompagnait régulièrement les offices. Nous avions eu par le passé quelques échos de cet enregistrement dans la superbe intégrale d'Helga Schauerte parue en 1989 chez Mottete. Bien entendu, écouter ce compositeur jouer lui-même de l'orgue est un document inestimable. De plus, nous entendons dans ce coffret  d'autres inédits présentés par , dont des Variations sur un thème de Rimski-Korsakov, ou une très belle Fugue sur un sujet d'Henri Rabaud. Tout ceci explique la présence d'un troisième CD, cette intégrale étant proposée habituellement en un double album. Il n'est sans doute pas nécessaire de présenter à nouveau cette œuvre bien connue des mélomanes, mais plutôt de s'attarder quelques instants sur l'approche même de l'interprète. Dans un texte rédigé lors du colloque Jehan Alain à Saint-Germain-en-Laye en Mars dernier, notre organiste s'en explique longuement, s'intéressant à l'origine même de sa musique : la musique ancienne, l'humour, le jazz, les machines, qui sont des éléments prépondérants de l'inspiration d'Alain.  Dès les premières notes de Litanies qui ouvrent cette intégrale, on est frappé par l'originalité de l'approche. se situe tout d'abord dans la continuité de ce que lui a transmis la sœur de Jehan Alain, Marie-Claire Alain, avec qui il a étudié des textes. On l'imagine à l'écoute des divers manuscrits souvent disponibles pour une même œuvre, et de cette très forte tradition familiale. Mais ce qui frappe également c'est la projection de cette musique vers quelque chose de nouveau, d'imaginatif, d'inédit. Et pourtant Jehan Alain est bien là, tel que nous l'attendons, avec toute sa magie. La « sonnerie de trompette » de Litanies, le début méditatif non métrique de la Fantaisie n° 2, la dernière page de Luttes, prise à bras le corps, dans un élan irrésistible, ou encore la fin de Deuils et cette lamentation monodique, comme ouvrant sur l'éternité.

Autre élément d'importance magnifiquement rendu dans cette version, c'est le silence. Ce silence, partie intégrante de la musique de Jehan Alain, ce silence témoin d'un instant, d'une intention, d'un accent. Les fins de pièces sont magiques, planantes et hors de tout tempo, étirées à l'extrême sans que la ligne ne se rompe. Cela le rend à merveille. Le choix des orgues est idéal : Saint-Etienne-du-Mont à Paris pour les pièces d'envergure (les trois danses), Sainte-Radegonde à Poitiers (une révélation) pour les pièces plus intimistes (Prélude profane n° 1), et l'orgue baroque de Saint-Louis-en-l'Ile à Paris pour les œuvres inspirées de la musique ancienne (Variations sur un thème de Jannequin). C'est sans doute un choix qu'aurait approuvé le compositeur, lui qui n'eut pas toujours des orgues à sa hauteur. Comme nous le rappelle l'organiste, il faut se libérer de certaines habitudes interprétatives pour s'approprier « son » Jehan Alain. Cette version s'affirme ici comme une référence aux côtés des trois intégrales successives de Marie-Claire Alain, et celles d'autres disciples : Wolfgang Rübsam, Eric Lebrun, Jacques Bétoulières ou Helga Schauerte (merveilleuse fin des trois danses). Une voix nouvelle s'élève ici, énergique et rêveuse.


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