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Martin Kaltenecker : L’oreille divisée

« Peut-on mal écouter ? » : voilà sans doute une des questions cruciales attachées à la problématique épineuse de la perception/réception de la musique qui nourrit la réflexion du musicologue Martin Kaltenecker dans cet ouvrage dense autant qu'essentiel paru aux Editions MF et livré sous le très beau titre de L'oreille divisée.

Le discours sur l'écoute est un phénomène qui apparaît aux alentours de 1800. « L'utilisation de la notion de discours, nous dit l'auteur, nous paraît mieux situer la question de la continuité et des ruptures d'une histoire de l'écoute ». Il l'a fait débuter au XVIIIe siècle et s'intéresse à son évolution – comme aux lieux mêmes et aux postures de l'écoute – jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Concernant l'appréhension d'une œuvre musicale, on pourra évaluer, au XVIIIe, la distance entre « l'écoute réflexive » et « l'écoute structurelle » (celle qui sait relier et comparer) ; selon un « contrat d'écoute » qu'il accepte ou qu'il décide de rompre, « le compositeur se tient (ou non) à certaines règles d'intelligibilité, l'auditeur se prépare et se concentre » lit-on chez les Classiques ; l'auteur aborde des notions comme l'imagination, le sublime ou l'ineffable liées à la description d'écoutes romantiques: « c'est l'indécision générale de l'auditeur sur le sens précis d'un affect qui fonde la profondeur de la musique », écrit-il, étayant son propos de nombreuses citations d'auteurs (Tieck, Wackenroder, Schopenhauer, Wagner etc.). Les théories de l'écoute à la fin du XIXème siècle regorgent de témoignages (), écrits (Hugo Riemann, ), thèses (Adorno, Schenker) témoignant de l'évolution proliférante des discours sur l'écoute et d'une interrogation de plus en plus vive sur la qualité de cette écoute (esthésique, structurelle, affective, en surplomb… ) qui semble retenir l'attention des penseurs et philosophes.

Passionnant, le dernier chapitre, Vers l'écoute artiste, amorce le XXe siècle et s'intéresse à un nouveau « point d'écoute » étayé par diverses notations d'écrivains (Thoreau, Maeterlinck, Proust…). Il rend compte de l'« acuité esthésique », cette écoute très fine du son dont on note les prémisses à la fin du XIXème siècle et qui faisait dire à l'américain Henry David Thoreau qu' « aucun sucre n'est aussi doux au palais que le son à l'oreille ».

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