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La jeunesse des créatures de Prométhée

Après l'aventure « prométhéenne » de l'intégrale des quatuors de Haydn entreprise par « les  Manfred », voici venir la suite des réjouissances : cette fois c'est à l'intégrale croisée de ceux de Beethoven et de Schubert qu'ils s'attaquent, considérant qu'il revient à ces deux musiciens d'être les premiers à assurer la descendance stylistique du grand maître viennois, à qui traditionnellement on dédie la paternité de ce genre.

Pour le premier concert de la série, les dijonnais ont choisi l'ordre chronologique chez les deux musiciens, ce qui permet de mesurer le pas franchi par Schubert, qui a trente ans de moins que Beethoven à quelques années près, dans le domaine de l'expression et même dans la façon d'envisager la conduite du discours musical. Franz Schubert écrit son premier quatuor dans sa quatorzième année pour une exécution « domestique », alors que Ludwig van Beethoven, musicien renommé dans la force de l'âge compose le sien pour un prince protecteur des arts ; il apparait dès les premières notes des deux œuvres que la personnalité de chacun d'entre deux se dévoile dans ces choix : à Schubert revient l'effusion sentimentale qui coule naturellement sans pathos, à Beethoven revient la maîtrise de la forme et du développement, non sans qu'affleure une expression touchante, comme celle qui imprègne tout le mouvement lent.

Le quatuor en si bémol majeur est désarmant de fraîcheur juvénile : il introduit des vielles recettes de composition telles que les fugato, les trémolos et autres battues d'accords en soutien des thèmes. Mais ce n'est pas ce qui retient l'attention : les interprètes font ressortir l'essentiel de cette partition, c'est-à-dire un fatal sentiment d'urgence tout romantique allié à une naïveté quasi enfantine, mélange que l'on retrouvera ensuite dans les Lieder. En effet, la cellule rythmique dactylique de l'introduction lente du premier mouvement annonce déjà celle du mouvement lent de La Jeune Fille et la Mort, tandis que le thème du menuet est un Ländler égrené comme par une boite à musique d'enfant… Le dynamisme de cette partition est parfaitement mis en valeur par le jeu des musiciens : ils semblent se régaler de cet enthousiasme juvénile qui n'en oublie pas moins d'unifier son discours par la citation sans cesse répétée de la cellule rythmique initiale.

On pourrait dire que par contraste la partition de Beethoven parait sophistiquée ! On admire la clarté de la structure et surtout la science du développement des thèmes. Le a bien profité de son « aventure précédente » pour pénétrer dans l'univers beethovénien, pour faire ressortir les dialogues entre les instruments et pour faire réapparaitre dans le tissu musical une cellule récurrente : tout semble se dérouler sans accrocs, et avec une logique évidente dans ce parcours d'une œuvre d'un admirateur de Joseph Haydn. Mais l'atout essentiel de ces interprètes reste leur faculté de faire ressentir les moments de faille, et c'est dans le deuxième mouvement que le chant de Roméo et Juliette s'épanche avec le plus de douceur triste : là est sans doute le moment le plus émouvant du concert.

Crédit photographique : © Rozenn Quéré

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