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Un Requiem de notre temps

Vous aimez être déstabilisé, secoué et surpris par des musiques inconnues soudainement révélées, par l'enregistrement notamment ? Ce Requiem du Russe devrait faire naître en vous des sentiments et des impressions multiples et contradictoires à travers de profondes pages reliées à la tradition musicale et religieuse en même temps qu'à une modernité à la fois rude et émouvante. En dépit d'une terrible et féroce censure longtemps exercée par l'Union des compositeurs d'URSS et par l'omniprésent et dictatorial Tikhon Khrennikov, Artyomov lutta pour écrire et faire jouer la musique qu'il souhaitait. Ses œuvres portent des titres traduisant sa démarche spirituelle intense et profonde. Elle se trouve souvent stimulée par l'idée de parcours, de cheminement, de pénétration des couches intimes de l'individu et de son rapport au monde. Artyomov précise : « La musique est un médiateur entre Dieu et le monde ». Son monde musical révèle une âme en interrogation mais aussi prend appui sur de nombreuses idées philosophiques, religieuses et poétiques ainsi que musicales occidentales (Stravinsky, Sibelius) et orientales (le zen, le taoisme).

Le Requiem, daté de 1987, chanté en latin, est dédié « aux martyrs de la longue souffrance russe » ; il apparaît rapidement comme l'une des œuvres pivots de la Perestroïka, après sa création accueillie avec succès le 25 novembre 1988 par les interprètes du présent enregistrement. Le créateur, en général plutôt avare de commentaires sur son travail, précise : « J'ai essayé d'écrire une musique douce comme l'esprit de notre peuple et tragique comme sa vie. » Effectivement, ce Requiem décline toute une palanquée d'expressions, de sentiments, de choix techniques, lesquels lui impriment des moments expérimentaux, théâtraux et religieux suffisants pour établir un pont avec les illustres réalisations passées d'un Verdi ou d'un Britten par exemple. Cinq solistes, un chœur d'enfants, un grand chœur et un grand orchestre s'appliquent à donner un souffle épique à ces quinze sections hétéroclites occupant soixante-quinze minutes intenses. On y découvre tour à tour le meilleur et le facile, l'élévation et le trivial, l'orthodoxie et la modernité, le penseur religieux et le post-romantique, le Russe et le cosmopolite (Webern, Messiaen,Varèse…)… A l'écoute de ce Requiem on se convainc qu'il ne suffit pas de composer savamment, fut-ce avec panache, mais qu'il convient de réussir à pénétrer par effraction le cœur et l'âme de l'auditeur. C'est ici mission accomplie ! Il serait temps d'enregistrer le reste de son travail, au premier chef son riche corpus symphonique.

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