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Vittorio Gui, bijoutier de Falstaff

Ainsi Falstaff, l'opéra des opéras comme le définissent certains (dont votre serviteur) est entré au répertoire du célébrissime festival de Glyndebourne en 1955.

Le festival devait alors reprogrammer cette production jusqu'en 1960, date de cet enregistrement. Si la première production était sous la baguette de avec le baryton suisse dans le rôle-titre, à partir de 1957, le chef prenait les rênes orchestrales de cet opéra avec l'un des plus grands Falstaff de l'histoire, le baryton gallois Geraint Evans. Un Falstaff magnifique qui allait fouler les planches de Glyndebourne pour les trois reprises de l'opéra en 1957, 1958 et 1960.

Les archives du festival viennent d'éditer l'enregistrement de cette dernière production. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, certains protagonistes des deux précédentes représentations font toujours partie de la distribution. C'est le cas du ténor espagnol Juan Oncina (Fenton). Véritable coqueluche du public de ce théâtre, il a pratiquement chanté tous les ans au festival de Glyndebourne depuis 1952 jusqu'en 1961. Avec sa voix de « tenore di grazia » malgré tout superbement tonique dans le registre grave, il est le parfait Fenton. Autre personnage incontournable de toutes ces productions de Falstaff, la mezzo-soprano mexicaine Oralia Dominguez. Son dialogue avec Falstaff et la scène du « Reverenza ! » sont superbes de simplicité et d'authentique ironie. On ne peut manquer ce rendez-vous.

D'ailleurs, entre les quatre rôles féminins règne une belle complicité musicale. Présente aussi deux ans auparavant, Ilva Ligabue (Alice) est ici délicieuse. Tout comme les deux autres commères Anna Maria Rota (Meg) et Mariella Adani (Nannetta).

Le baryton Geraint Evans, considéré comme le Falstaff idéal, a pratiquement construit toute sa carrière avec ce rôle (et celui de Figaro des Noces de Figaro). Son Falstaff respire la truculence. Se sentant comme la référence, sans sérieuse direction musicale, il a tendance à en exagérer le comique. C'est un peu le cas ici, avec un malheureux penchant à aboyer son rôle plutôt qu'à le chanter. Reconnaissons-lui pourtant son monologue « Mondo ladro ! Mondo rubaldo ! Mondo Reo ! » qu'il interprète admirablement au début du troisième acte

De son côté, le sous-estimé baryton italien Sesto Bruscantini (Ford) démontre que sa relative absence des discographies est une faute irréparable. De sa voix claire, de ses aigus soutenus, de sa diction irréprochable, il empoigne son rôle avec une autorité magnifique. Son air « E sogno ? O realta ? » est un modèle du genre et vaut à lui seul l'achat de cet album.

Certes, au pupitre, le chef romain fait des merveilles au milieu de cette distribution majoritairement italienne. Ce n'est pour rien qu'on le surnommait « le jeune Toscanini ». L'enregistrement qu'il laisse ici illustre combien ses chanteurs et son orchestre ont été méticuleusement préparés. Sa direction est superbe de clarté, d'humour débridé, de scintillement, sans que jamais elle ne soit analytique. Les ensembles, ces terribles fugues à capella qui parsèment la partition, sont menés avec une précision diabolique mais, sans jamais que le lyrisme du chant ne fasse défaut. Une œuvre d'un bijoutier !

Présenté sous la forme d'un très joli petit livre, comme tous les enregistrements édités par le festival de Glyndebourne, cet album mérite le détour.

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