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Edouard Batiste adapte Beethoven à l’orgue

Découvert en France en 1976 grâce à un microsillon Erato de Pierre Guillot sur l'orgue de Nantua, Edouard Batiste, organiste du second empire, est enfin et pour la première fois largement représenté au disque par une grande anthologie en deux longs CDs, d'une qualité de tout premier plan. Figure marquante de l'orgue français en ce milieu du XIX° siècle, Edouard Batiste occupa la tribune de Saint-Eustache à Paris, l'une des plus prestigieuses qui soit, surtout depuis la reconstruction complète d'un orgue monumental dans un buffet original de Baltard par le facteur en 1854, suite à un incendie qui détruisit complètement l'orgue précédent. Devenu célèbre Batiste se verra surnommé « le dompteur d'orgues », ce qui laisse rêveur sur ses capacités d'organiste. Rival du célèbre Lefébure-Wély, organiste et défenseur des orgues Cavaillé-Coll, Batiste se tourne résolument vers le facteur , lui aussi concurrent de Cavaillé-Coll, et c'est ainsi qu'il devint l'organiste inaugurateur officiel de tous les nouveaux instruments construits par cette firme célèbre. Du coup, de nos jours, il semble judicieux de rechercher quelque orgue de Merklin pour illustrer la musique de Batiste. Par chance, un grand instrument de Merklin, proche par ses proportions de celui de Saint-Eustache à l'époque, vient d'être entièrement restauré et rendu à son état d'origine par Jean Daldosso, en la cathédrale Sainte-Marie à Murcia, Espagne. C'est un orgue grandiose à deux façades avant et arrière, quatre claviers et pédalier, chamades, et toutes les commodités adéquates pour interpréter au mieux ces pages. Le résultat est à la hauteur de l'attente, l'orgue est impressionnant de puissance, mais aussi de nuances et de timbres très diversifiés, parfois même assez insolites.

Les albums Aeolus sont toujours très soignés dans leur présentation, l'iconographie, mais aussi ils bénéficient d'une prise de son intelligente, qui respecte les orgues dans leur dimension, leur acoustique, leur acuité auditive. Grace au savoir faire de , les œuvres de Batiste resplendissent. Le premier CD propose des œuvres originales toutes destinées à l'office liturgique. On reconnaît les différents moments : offertoires, communion, élévations et autres sorties. Le style du second empire est bien là, sans toutefois atteindre le je-ne-sais-quoi offenbachien, caractéristique de l'époque, et largement disserté par Lefébure-Wély. Les grands chœurs d'anches rehaussés par de solides chamades font merveille, et la palette sonore est déjà bien romantique, voire symphonique. Certains jeux de détails, et l'utilisation d'un tremblant assez puissant et rapide, préfigurent par moments ce que seront plus tard les orgues de cinéma, étonnant monde de l'orgue…

Le second CD est peut-être encore plus passionnant car il nous montre un aspect assez inattendu de ce compositeur, son travail de transcription à l'orgue des symphonies de Ludwig van Beethoven. C'est une approche excitante : ces adaptations furent composées peu de temps après la mort de Beethoven, et Batiste va les traiter à sa manière. D'abord il prend les mouvements plutôt lents des symphonies sauf exceptions, les abrège afin qu'ils puissent entrer dans de cadre de la liturgie. Il les rebaptise en communions, offertoires, sorties. Cependant les sections qui sont conservées respectent le texte, il n'y a pas de simplifications d'harmonie, toute l'essence de Beethoven demeure, et les mouvements ainsi reconstitués, rendent pleinement justice à leur auteur. De plus la réorchestration à l'orgue est savante : les plans sonores sont détaillés et respectés, les instruments de l'orchestre repris à l'identique (hautbois, flutes, trompettes). Ecoutez par exemple l'allegretto de la symphonie n° 8 scandé sur un lit de flutes : un petit moment de pur bonheur ! Batiste propose là un panorama éloquent de cet art beethovénien, et livre les plus belles transcriptions jamais réalisées de ces symphonies à l'orgue, sans doute une certaine tradition était alors encore bien vivante. , déjà bien connu pour plusieurs remarquables CDs Franck sous ce label, est heureux dans cette musique. Il révèle les facettes et les subtilités de ce discours, par un jeu clair, solide et inspiré, sous les couleurs d'un orgue ressuscité au service d'une musique enfin découverte. La grande encyclopédie de l'orgue et de sa musique continue, au travers d'albums comme celui-ci qui font honneur à leurs concepteurs. Et l'orgue espagnol n'a pas fini de nous étonner et de nous surprendre, même dans ce répertoire, le XIX° siècle nous réserve encore bien des surprises.

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