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A Genève, Robert Carsen dévoile un inquiétant Richard III

En juin 1999, sur la scène du Grand Théâtre de Genève, signait une formidable mise en scène du Macbeth de Verdi.

Se servant de l'histoire alors récente de la famille Causcescu, combinée aux images des argentines Folles de Mai, il illustrait l'œuvre verdienne mettant en lumière la montée du tyran shakespearien vers le pouvoir. Aujourd'hui, il récidive avec un spectacle qui, toujours partant d'une pièce de Shakespeare, lui permet de raconter ce que lui inspire l'universalité de ces mêmes luttes sanglantes vers l'accession au pouvoir. Envahissant la scène genevoise avec un impressionnant et percutant spectacle, le metteur en scène canadien trouve dans ce drame musical, le parfait langage qui semble avoir toujours habité son esprit.

Avec Richard III, en usant des langages musicaux et théâtraux modernes et actuels, raconte la violence devant laquelle aucun dictateur ne recule pour conquérir la domination sur les hommes. Si la pièce de Shakespeare, comme le livret qu'en tire Ian Burton, ne respecte pas à la lettre la figure historique de Richard III, la volonté de stigmatiser le personnage scénique reste le moteur intentionnel des trois concepteurs de cet opéra. Parce que, comme rarement dans l'opéra, le metteur en scène est partie prenante de la construction de l'œuvre. Au même titre que le librettiste et le compositeur. En effet, a participé à l'élaboration de ce drame musical avant même que le livret soit mis en musique. C'est donc une œuvre sur mesure.

Avec son décorateur et sa costumière (Radu et Miruna Boruzescu), Robert Carsen implante cette sanglante saga dans un cirque où, sur le devant de gradins de fer rouillés, l'arène semée de sable rouge-sang bascule déjà quand s'ouvre la scène sur le cadavre du roi Edouard IV. A ses côtés, Richard III préparant son tragique dessein royal, se coiffe de la couronne (réplique de celle d'Elizabeth II d'Angleterre !) qu'il convoite. Commence alors son chemin sanglant vers l'élimination des prétendants légitimes. Pour l'exécution de ses basses œuvres, auxquelles jamais il ne prend part directement, il fait appel à une cohorte de personnages « à-la-Magritte » vêtus de complets-vestons noirs, coiffés de chapeaux melon et armés de parapluies. Comme s'ils étaient empruntés à la City de Londres. Un hasard ? Avec Robert Carsen, ce hasard n'existe pas.

Les adversaires éliminés, le triomphe de Richard III est total. Il est roi et déjà, il trouve sa victoire amère. « Je suis seul avec moi-même » se plaint-il soudain. Bientôt envahi par les fantômes des assassinés, il mourra lui-même tué au combat en prononçant ces mots désormais célèbres : « Mon royaume pour un cheval ». Epilogue dérisoire de sa course vers le pouvoir.

Musicalement, nous sommes loin du lyrisme verdien de Macbeth. La musique de favorise les sons mêlés d'électronique et de percussions. Une musique éminemment descriptive des ambiances sombres et tourmentées qui demeurent dans ce climat criminel extrême. Les voix sont traitées sur des registres souvent monocordes augmentant ainsi les atmosphères noires et dramatiques qui entourent les complots et les meurtres perpétrés sous les suggestions de Richard III.

Chez les protagonistes, la prestation hallucinante de (Richard III) domine. Devant cette sombre musique, en formidable acteur, il campe le mal avec une terrifiante vérité. Le regard malin, le geste désordonné, il oscille sans cesse entre l'image du conquérant cynique et celle du meurtrier en série. Un personnage que le baryton américain habite avec un chant si expressif qu'on peine à croire qu'il chante tant son chant est parlant.

A ses côtés, les autres protagonistes paraissent quelque peu écrasé par l'omniprésence du rôle-titre. Leurs prestations n'en sont que plus remarquables. En particulier, l'intensité dramatique de la mezzo (Lady Anne) tranche superbement avec la clarté du timbre de la soprano (La Reine Elisabeth) et la puissance vocale de la mezzo (La Duchesse d'York). Les rôles masculins s'avèrent tout autant excellents. A l'image de (Buckingham), cynique exécuteur des basses œuvres, de (Clarence), le malheureux frère d'Edouard IV (), et le baryton éclatant d' (Richmond), futur roi Henri VII.

S'il faut signaler l'excellence de la direction de à la tête d'un rompu aux partitions de compositeurs contemporains, c'est à nouveau le Chœur du Grand Théâtre qu'il faut louer pour sa prestation. En effet, sa musicalité fait merveille lorsqu'il doit chanter certains tutti avec l'orchestre, tel un pupitre à part entière, ou avec une autre partie de l'ensemble chantant depuis la coulisse. Un véritable travail d'horlogerie vocale.

Crédit photographique : (Richard III) ; (Buckingham), (Richard III), (Tyrrel), David Adam Moore (Catesby) © GTG / Yunus Durukan

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