Disque officiel de la Folle Journée de Nantes 2012, le Voyage en Russie de Claire-Marie Le Guay rassemble un intéressant florilège de pièces romantiques tirées du répertoire russe, du Groupe des Cinq à Rachmaninov, en passant par Scriabine et Tchaïkovski. Certaines constituent des « standards » qu'on a toujours plaisir à entendre (Vol du bourdon de Rimski-Korsakov, Préludes de Rachmaninov), d'autres sont moins connues, à l'image des Chants sans parole de Tchaïkovski.
Le talent lyrique de la pianiste n'est plus à démontrer. Elle parvient à faire chanter une vingtaine de miniatures, s'installant dans chacune d'elles malgré leur brièveté, trouvant le ton juste entre drame et passion. Au-delà de la virtuosité, l'interprétation de ces œuvres exige une poétique. Pour certaines même, d'une déconcertante simplicité, rien d'autre ne compte que cette poétique. Claire-Marie Le Guay parvient certes à dominer les pages les plus ardues, mais il y a dans son jeu mieux qu'une simple faculté technique : il y a aussi une faiblesse, une déchirure, bref une poétique. C'est cette fragilité qui donne tout son prix à l'enregistrement, parce qu'elle resitue les œuvres au cœur d'une Russie tourmentée et souffrante, mais d'une beauté infinie.
On apprécie en particulier le Scherzo de Borodine, qui rebondit à l'oreille comme une balle ; les trois Préludes de Scriabine frappent également par leur sauvagerie ténébreuse. On redécouvre en outre le célèbre Prélude op. 23 n°5 de Rachmaninov dans une version chaloupée et mordante à la fois qui n'est pas pour déplaire. La touchante Larme de Moussorgski est un moment fort du disque, qui tient d'ailleurs plus à l'interprétation poignante de Claire-Marie Le Guay qu'à la richesse de l'écriture. Signalons enfin l'agencement très malin des œuvres, qui ménage la mélancolie, l'héroïsme et la drôlerie. Une très belle peinture de l'âme russe.