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L’art nouveau et flamboyant d’André Marchal

De temps en temps, au cours de l'histoire de l'enregistrement discographique, il est bon de rappeler que certains musiciens ont marqué profondément de leur empreinte, à une époque donnée, l'évolution de l'interprétation. Tel est bien le cas d', figure incontournable de l'orgue français au XX° siècle. Initiateur avec son ami Norbert Dufourcq, historien de l'orgue, d'un nouveau courant baptisé néo-classique, s'appuyant sur la redécouverte du répertoire ancien, accompagné par un concept de retour à une certaine forme de classicisme en matière de composition des orgues. Victor Gonzalez facteur d'orgues, concrétisera cette nouvelle esthétique, au travers d'instruments synthétisant trois siècles de facture d'orgue : Un positif de dos baroque, un grand orgue classique, un grand récit expressif et romantique, une pédale polyvalente, furent les nouveaux canons de l'orgue. Ce fut parfois au détriment de quelques orgues anciens, remaniés intempestivement, mais aussi d'autres, nouvellement édifiés qui restent des témoins précieux de ce courant musical. Quelques vieilles cires témoignent de cette collaboration où Dufourcq présentait, expliquait, et Marchal jouait : Autre école, autres points de vues, alors dictés par le courant officiel, dirigé par Marcel Dupré et l'enseignement du conservatoire de Paris. A l'instar d'Helmut Walcha en Allemagne, demeure un grand découvreur de musiques et de retour aux sources afin de proposer un style retrouvé, un précurseur en quelque sorte. Il est même l'un des pères fondateur de l'école baroque en France, reprise par la génération suivante, dont Michel Chapuis, qui confie avoir beaucoup écouté Marchal dans sa jeunesse pour se forger un style.

Le présent coffret est une anthologie de l'art d' de tout premier choix. François et Yvette Carbou ont puisé dans leurs archives personnelles, ainsi que dans celles de l'INA, afin d'en retirer l'essentiel, au travers d'une palette élargie, dans le choix des auteurs et des instruments. Tout est là, tant par le répertoire, qui propose Couperin et Grigny aux orgues historiques de Saint-Gervais, Bach à la maison de la Radio, mais aussi Tournemire à Notre-Dame, que par les orgues dont celui de Saint-Eustache dont il fut titulaire.

André Marchal fréquentait aussi le répertoire symphonique, ayant été le dédicataire de plusieurs œuvres dont la symphonie n° 4 de son ami Louis Vierne. Qui d'autre qu'André Marchal nous emporte ainsi dans ce final haletant ? Un autre moment unique reste cette version des Litanies de Jehan Alain à Saint-Eustache captée en 1957 : Il faut écouter la péroraison de cette pièce avec ces grands accords lancés dans l'espace, qui se resserrent à l'extrême, et en font ici une des plus belles versions jamais entendue : Tout y est magistralement compris ! Sur même orgue, il avait gravé une intégrale Franck mémorable (Solstice).

Un autre aspect de l'art d'André Marchal nous est présenté ici : l'improvisateur, avec six exemples choisis sur divers instruments aimés du maître, dont celui du Palais de Chaillot, rescapé du Cavaillé-Coll remanié par Gonzalez du palais du Trocadéro, aujourd'hui installé à Lyon, à l'auditorium Maurice Ravel. Les thèmes sont empruntés à la musique ancienne, ou populaire, y compris la dernière sur l'impressionnant orgue du Royal Festival Hall de Londres, comble pour la circonstance d'un public impatient d'applaudir chaleureusement le musicien jouant encore l'accord final sur le tutti : ambiance ! Une autre improvisation en privé un soir de février 1974 à Notre-Dame de Paris, captée à l'improviste à la fin de la répétition du récital du lendemain, résume ici le métier, la spontanéité de cet artiste, heureux de se faire plaisir : moment de détente et de décompression, en guise de cadeau à quelques amis présents, surpris, tel François Carbou se précipitant pour remettre en route le Revox, et l'exclamation finale d'admiration du maitre émerveillé par l'émotion de l'instant : le grand orgue, l'acoustique, sa musique…

Un immense merci à Solstice pour ce travail remarquable, de patience pour rassembler ces pages, pour ses choix judicieux, fonction de l'état réel des bandes anciennes et des prises de son, pour que nous puissions avec les générations futures, nous souvenir qu'André Marchal fut et demeure un grand maître de l'orgue.

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