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Festival Elne Piano Fortissimo, une édition subtilement debussyste

Si la septième édition du Festival Elne Piano Fortissimo, qui se tient chaque année et trois jours durant sous la voute d'un des joyaux de la Catalogne romane, célébrait Debussy – anniversaire oblige – avec concerts et conférence, on appréciait, dans les choix du directeur artistique Michel Peus, la variété des horizons sonores et les surprises qu'il aime ménager au sein d'une programmation de haut vol.

Ainsi prenait-il la baguette dans le concert d'ouverture, invitant en soliste le pianiste – professeur émérite au CRR de Perpignan – et l'ensemble à cordes Mare Nostrum Musicae dirigé par François Ragot.

Résolument méditerranéenne, la première partie de la soirée était toute entière consacrée à Déodat de Severac, compositeur catalan qui eut à coeur de « chanter dans son arbre généalogique ». « Sa musique sent bon » dira de lui le synesthète Debussy. Ardent défenseur d'une musique qu'il dit avoir fait sienne, interprétait Cerdaňa, une suite de cinq pièces aux titres évocateurs (Ménétriers et Glaneuses, Les Muletiers Devant le Christ de Livia...) et au discours profus, un rien bavard mais toujours chaleureux et éminemment bien conduit. Notre pianiste en fait jaillir la lumière et les couleurs à travers un jeu précis et généreux, soulignant les nervures rythmiques et les subtilités harmoniques pour renouveler à mesure le décor sonore et donner à ces tournures fleurant l'Andalousie une sonorité galvanisante.

Après un intermède couleur locale qui faisait résonner, sous l'archet du violoncelliste François Ragot, El cant dels ocells (Le chant des oiseaux), véritable hymne catalan donné ici dans l'harmonisation de Pablo Casals, notre pianiste et l'ensemble Mare Nostrum sous la direction de Michel Peus donnaient le Concerto n°1 en mi mineur de Chopin dans un arrangement pour quintette à cordes et piano. Rappelons que c'est ainsi qu'il avait été entendu en 1832 dans les salons parisiens. Si l'équilibre sonore entre soliste et ensemble, pour les auditeurs des premiers rangs de la nef, n'était en rien idéal, la ferveur et l'intensité expressive qui se dégageaient du jeu du soliste ne laissaient de captiver l'écoute d'un auditoire sous le charme.

Lors de la même soirée, l'étonnant pianiste espagnol Javier Perianes, grand spécialiste de la musique de Falla à laquelle il consacrait une deuxième partie de récital flamboyante, avait choisi dans un premier temps de confronter Chopin et Debussy dans une alternance systématique et finement pensée (la Barcarolle contre L'isle joyeuse, la Berceuse avant le Clair de lune…) qui laissait apprécier la filiation fertile entre les deux compositeurs.

Succédant au programme entièrement germanique (Beethoven, Schubert et Brahms) choisi par la jeune et prometteuse lors du concert du lendemain, le récital de célébrait d'abord Debussy avec les 3 Images dites oubliées de 1894 (Lent, Sarabande, Quelques aspects de « nous n'irons plus au bois ») qui pâtissent un peu de la présence de leurs ainées conçues dix ans plus tard: subtilité, sensibilité et raffinement ressortent du jeu très caressant de qui laisse affleurer cette touche de nostalgie si prégnante dans le Debussy de jeunesse. Le choix des Années de pèlerinage de Liszt (Sonnet de Pétrarque et Après une lecture de Dante) sentait un peu le réchauffé mais la vision transcendante avec laquelle l'interprète les aborde ne laisse de subjuguer. Avec un abattage technique époustouflant et une ampleur sonore gagnée sans dureté aucune, notre pianiste confère un relief saisissant à ces pages quasi orchestrales, ménageant des changements d'éclairage expressifs autant qu'impressionnants: des qualités qui se confirment dans l'interprétation habitée de la Fantaisie de Schumann dont il cerne admirablement la trajectoire formelle, du jeu halluciné des premières pages à l'intériorité quasi méditative du dernier mouvement.

Fidèle du Festival qui l'invitait pour la troisième fois, proposait quant à lui un programme de musique française réunissant Debussy et ses pairs, Fauré, Franck et Saint-Saëns dont les oeuvres respectives (Nocturne, Prélude, Etudes…) entraient en résonance avec celles de Debussy. Après le Nocturne n°1 en mib mineur de Fauré joué par le pianiste avec une sensibilité à fleur de touches, Prélude, Fugue et Variation de César Franck, une oeuvre écrite à l'origine pour orgue et renouant avec le contrepoint de Bach, avait été choisie en adéquation au lieu comme le précise lui-même l'interprète. Si les 3 Etudes de Saint-Saëns, regardant vers Chopin, sont une mise en perspective intéressante, l'Andante sostenuto du même compositeur, transcription d'un mouvement de concerto pour piano seul, manque d'envergure sonore et n'est guère convaincant. C'est avec Debussy, dans la seconde partie, que révèle son talent de coloriste et de pianiste racé. La suite Pour le piano (Prélude, Sarabande et Toccata) met à l'oeuvre une digitalité brillante et un jeu raffiné, plein d'élégance dans la Sarabande. La pureté du style au sein d'une interprétation très fidèle au texte fascine dans les quatre Préludes (La Puerta del Vino, Ce qu'à vu le vent d'ouest, La terrasse des audiences au clair de lune et Feu d'artifice) jouant sur des effets d'ombre et de lumière parfaitement dosés. L'isle joyeuse et Clair de lune donné en bis terminaient le concert sous l'éclairage de ces « lumières spéciales » qu'évoque Debussy et dont semble bien avoir percé le mystère.

Crédit photographique :  © Ioan Penu

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