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A Lausanne, Nathalie Stutzmann ou le baroque incarné

Sa voix est à l'image de son habit de scène, un velours sombre bordé d'éclats de couleur vive. La douceur et l'énergie s'y conjuguent jusque dans les méandres abyssaux du registre de contralto qu'elle fait entendre. Nathalie Stutzmann porte beau, chante avec profondeur, et depuis quelques temps, dirige avec ferveur. A Lausanne, au Festival Bach, elle est venue accompagnée de son ensemble Orfeo 55, créé par elle en 2009, et tout entier acquis à sa cause pour la suivre dans une sélection d'airs de Vivaldi.

Chanter et diriger n'est pas chose aisée. D'aucuns se contentent volontiers de l'un ou de l'autre. Pas , qui déploie une intensité physique de tous les instants pour modeler le flux musical selon sa vision d'un baroque vivant, habité, particulièrement décomplexé. Et ses musiciens de faire montre d'une musicalité profondément collective, d'une connivence remarquable. Surtout, ce plaisir d'être là, et de faire respirer cette musique comme un organisme vivant ! Une joie communicative de faire corps avec ces phrasés exacerbés à l'extrême par la contralto, qui cherche la nuance contrastée et met en évidence les ruptures dramatiques que le Vivaldi sacré n'a pas à envier au Vivaldi profane.

Le « Nisi Dominus » témoigne de cet engagement, d'une attention portée au texte du Psaume 127. Relevons surtout le « Cum dederit delectis », où se déploient de longues tenues, sans vibrato, dont la rectitude obstinée fait naître des tensions puissamment expressives. Point de purisme dans l'interprétation, simplement le souci de donner une lecture cohérente et habitée de cette superbe cantate.

Elle nous le confiait quelques jours avant le concert, exige de ses musiciens une pratique tant sur instruments modernes que sur instruments baroques. Afin de garder les esprits ouverts et curieux. Afin surtout de parvenir à une polyvalence qui rend possible le son puissant, timbré, rond qu'elle tire de son ensemble. Ce son qui fait merveille dans la seconde partie du concert, où elle met sa voix moirée au service d'une succession d'airs de fureur et de lamentation tirés de l'œuvre opératique du Prêtre roux. Les larmes, d'abord, dans « Sento in seno ch'in pioggia di lacrime » tiré de l'opéra « Il Giustino ». Les pizzicati des cordes sont précis, toujours dirigés, un dénuement puissamment expressif où la contralto transmet une émotion vraie. La colère ensuite. Les airs de fureur sont habités par une incandescence extrême, grondant d'une sourde violence qui explose dans les fusées mélodiques des cordes. Ce jeu d'archet ample, qui vient mordre la corde avec hargne avant de lui donner du corps, confère un relief à cette musique ; les hémioles ainsi soulignées lui donnent un groove très jouissif. Enfin de la musique ancienne où le souci de véracité historique n'étouffe pas le plaisir du son, ne contraint pas la transmission de l'émotion ! Le public n'a pas manqué de manifester son grand enthousiasme, comme pour signifier que cette interprétation devait autant au charisme talentueux de qu'à son parti pris d'une musique incarnée comme devrait l'être toute musique.

Crédit photographique : Nathalie Stutzmann © ©LPC|Simon Fowler/Deutsche Grammophon

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