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L’apogée du classicisme avec Murray Perahia

Pilier de la série Piano 4 Etoiles, est un habitué de la salle Pleyel, que ce soit en récital ou en concert avec orchestre, comme ici avec l'Academy of St Martin in the Field dont il est Principal Guest Conductor. Ces deux soirées parisiennes faisaient partie de la tournée européenne du chef américain avec l'orchestre londonien commencée le 9 novembre à Cambridge, passant par Munich, Bâle, Baden-Baden, Essen, Dortmund, Stuttgart, Frankfort, et s'achevant le 26 novembre à Genève. Le programme de ces deux soirs était, on ne peut plus classiquement, consacré à Mozart le samedi, à Beethoven et Haydn le dimanche.

Détail cocasse, les trois œuvres programmées chaque soir étaient exécutées avec des configurations différentes : l'Academy of St Martin in the Field ouvrait la soirée sans chef, emmenée de son poste de premier violon par Andrew Haveron (également Concert Master du Philharmonia), puis dirigeait du clavier le concerto, pour ensuite prendre baguette et monter sur le podium pour la symphonie conclusive. On le savait déjà, et ces concerts en furent une nouvelle preuve, cet ensemble excelle avec ou sans chef, même si l'Ouverture de Coriolan a montré les limites de l'exercice. Mais les Danses allemandes s'enchaînaient avec évidence et simplicité, toute en rondeur et équilibre des timbres, teintées d'une classique élégance qui ne se démentira pas tout au long de la soirée. Cela rendra peut-être le résultat musical légèrement prévisible, aucune réelle surprise ne venant perturber ou distraire l'auditeur au long de ces deux concerts, mais dans ce style, au confort chic d'une Bentley sans son côté ostentatoire, cela constituait un remarquable niveau d'achèvement. Et qui a déjà entendu dans les concertos de Mozart, dont l'intégrale discographique fait partie des références, aurait retrouvé intact les qualités de touché du pianiste comme la tenue de ses phrasés qui s'écoulaient avec un naturel qui n'est pas sans rappeler Clara Haskil.

Avouons que si ce style qui n'exacerbe aucun contraste au profit d'une continuité du discours sans heurts ni arêtes allait fort bien au Concerto du Couronnement, la Symphonie n°39 qui suivit s'en trouva quand même légèrement édulcorée, un peu à l'étroit dans une échelle dynamique moyennement étendue, comme dans des contrastes expressifs réduits à la portion congrue. On peine à croire qu'elle porte le n°39 et qu'elle côtoie la quarantième ou la Jupiter. Ainsi jouée, même joliment comme ce soir, mais expressivement vidée de sa substance, elle semble déjà anachronique.

Heureusement, pour Beethoven et Haydn, chef et orchestre adoptèrent une attitude plus engagée et dynamique, n'hésitant plus à creuser les contrastes sans jamais perdre le sens de la mesure ni se départir de ce chic si britannique dont l'Academy of St Martin in the Field a toujours fait preuve. Toutefois le pari de jouer Coriolan sans chef ne nous a pas réellement convaincu, non que l'orchestre manqua de précision, car réellement aucun dérapage n'y fut perceptible, mais cela a manifestement conduit ces excellents instrumentistes à se caler une fois pour toute sur un tempo très allant, incontestablement Allegro con brio, mais dont l'absence totale de variations amena tout droit à la fin de l'ouverture sans nous faire sentir aucun évènement musical entre temps. Et plus grave, de réellement rater la fin sempre più piano qui tomba abruptement comme un cheveu sur la soupe. Exercice brillant mais finalement vain. Vite effacé par un bien plus réussi Concerto pour piano n°3, dont l'héritage mozartien fut nettement mis en évidence et plus encore que la veille, la qualité de chaque instrumentiste sauta aux oreilles, en particulier les vents plus directement sollicités ce soir. On trouva finalement Perahia chef symphonique bien mieux à son affaire dans Haydn qu'avec Mozart la veille, avec un orchestre proche de l'idéal dans cette musique en terme de qualité instrumentale et d'équilibre. Des choix de tempos parfaits, une dynamique vivante et un rebond constant conduisirent à un épatant Roulement de timbales, classique certes, mais du classicisme de ce niveau, on en redemande.

Crédit photographique : Murray Perahia © Felix Broede – Sony BMG Music Entertainment

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