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Une nouvelle idée de l’orgue selon Christophe d’Alessandro

Tout nouveau disque d’orgue faisant appel à la recherche d’un langage nouveau mérite que l’on s’y attarde. La présentation intitulée « Orgue et réalité augmentée » est déjà tout un programme. L’auditeur est prévenu : il s’agit d’un orgue capté de manière inhabituelle, en plaçant divers micros très près des tuyaux, à l’intérieur même de l’instrument, et en transformant plus ou moins le son obtenu par quelques mixages et transformations numériques. On s’attendrait au pire: eh bien pas du tout! Parlons du son, oui, sans entrer pour autant dans la cuisine technique, qui garde déjà toute l’aération habituelle de l’acoustique large et généreuse d’une église, sans doute grâce à une réverbération virtuelle, et puis les ajouts de sons numérisés. Tout cela se mêle, se combine et se marie au mieux. C’est bien comme nous l’annonce l’éditeur, une musique inédite et insolite, une expérience sonore mariant patrimoine historique et nouvelles technologies.

Une fois le décor sonore dévoilé, qu’en est-il maintenant du discours musical ? La première œuvre s’intitule Les douze degrés du silence . En douze courts tableaux, l’auteur disserte sur le silence en musique. C’est, nous dit-il, le silence qui permet d’entendre le mouvement de la vie. Cette notion est fondamentale en musique, depuis toujours les compositeurs ont joué avec cette donnée magique. On garde quelques exemples célèbres chez les baroques, et certains modernes comme Jehan Alain. Le discours est fluide, souvent planant, libre comme des improvisations distillées au fil du temps. L’essentiel, au delà de l’analyse musicale ou des techniques sonores, est que cette musique nous touche, sans aucune autre explication. Le langage parait dodécaphonique voire atonal, on retrouve des effets de jeux tirés à moitié, parsemés aussi par de beaux accords consonants qui renvoient à des contrastes assez étonnants.

L’orgue devient un réservoir à sons dans lequel l’auteur puise ses ingrédients au gré de son inspiration. Beaucoup d’effets sonores, nouveaux, grâce à l’électronique qui transforme l’orgue romantique de Saint-Elisabeth à Paris en un véritable laboratoire acoustique. On se rapproche parfois de l’inspiration d’un Ligeti lorsqu’il cherchait lui aussi de nouvelles voix (ou voies) pour l’orgue, avec ses fameuses études. Certains mélanges propres à l’orgue demeurent: le plein-jeu, les flûtes, le chœur de anches, et le tutti, ou au contraire s’en éloignent complètement.

La deuxième œuvre proposée Symphonie de l’empereur jaune est un libre commentaire d’un passage du Zhuangzi par une suite de épisodes en mouvements. Cette symphonie correspond en occident au chant inspiré du berger Orphée, ou les improvisations du roi David soutenant le chant des psaumes. Chaque mouvement de la symphonie amène son climat, calme et ludique à la fois, recréant un univers imaginaire qui emporte l’auditeur dans des mondes sonores étranges et qui le portent au rêve. Tout cela est inspiré et beau, le timbre et la couleur étant au centre du discours. L’œuvre se termine par une chaconne, forme chère à l’orgue, qui accroche et synthétise tout un monde lointain venu de l’orgue ancien, en un immense crescendo. Une nouvelle fois, le discours est charmeur, les transformations numériques amenant d’étranges harmoniques impaires telles un lointain carillon, doublé d’un immense chœur.

Voilà une belle expérience qui fera date dans la longue histoire de la création organistique, grâce au concours du compositeur et organiste Christophe d’Alessandro et de Markus Noistering, génial apprenti sorcier des sons, portés par un très bel instrument, restauré en 1999 par la manufacture d’orgues Giroud successeurs.

A découvrir sans tarder pour compléter ses connaissances sur l’orgue de notre temps.

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