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Vienne à Paris avec Georges Prêtre : tout le monde est content, ou presque

Rien n'arrête , en tout cas pas son très respectable âge de plus de 88 printemps, puisque le concert qui nous occupe ici était au cœur d'une série de cinq commencée à Vienne les 11 et 13 janvier, passant par Berlin dès le lendemain du concert parisien pour finir à Mannheim le surlendemain. Bel effort, d'autant que le chef français dirige de mémoire, bien campé sur ses jambes, même si le pas n'est plus aussi alerte qu'autrefois. Le programme choisi était très classique, Beethoven, Stravinsky pour conclure par le Boléro, sans compter les inévitables bis viennois attendus par le public.

Commencée dans la fosse du Staatsoper en 1962 pour un Capriccio sur l'invitation d'Herbert von Karajan alors patron de l'Opéra de Vienne, la collaboration de avec le Philharmonique devint officielle dès l'année suivante lorsqu'il remplaça Hans Knappertsbusch pour des concerts d'abonnements. Un demi-siècle plus tard, c'est donc des connaissances de longue date qui se retrouvaient ici, même si on notait un certain rajeunissement des Philharmoniker ayant fait le déplacement à Paris, emmenés ce soir par Volkhard Steude au poste de konzertmeister. Mais à l'évidence l'orchestre était à l'aise avec la battue économe du chef, laissant une forte responsabilité aux musiciens eux-mêmes, au moins dans Beethoven où nous retrouvions les sonorités viennoises habituelles, un ensemble de cordes impeccable même si moins impressionnant qu'à d'autres occasions, pour une exécution sans souci, du moins techniquement. Car le début poco sostenuto manifesta d'emblée le déficit de tension qui allait marquer l'ensemble de cette exécution, en même temps qu'une façon d'accentuer ou d'appuyer certains passages, et de jouer sur le rubato qui pouvait déconcerter car n'étant pas forcément dans le sens de la marche. Paradoxalement, si le chef usait d'une gestuelle très simple, il sophistiquait son interprétation avec des traits personnels dont l'évidence et le naturel ne nous sautaient pas aux oreilles, et qui, ne faisons pas durer le suspens, allaient gâcher son Boléro. Les deux mouvements extrêmes de la Symphonies n°7 qui peinèrent à trouver leur unité et à atteindre leur pleine puissance expressive en pâtirent évidemment plus que les deux mouvements médians.

La suite de l'Oiseau de feu se montra tantôt rebelle tantôt docile à la baguette toujours aussi peu directive du chef. Rebelle quand il fallait pousser le curseur de la puissance et de la précision à son maximum, docile lorsque l'orchestre avait le temps de doser et de progresser « tout seul ». Ainsi la première partie fut délicate et « culmina » dans une Danse infernale de roi Kachtcheï très en deçà de son potentiel, pour reprendre ensuite du poil de la bête dans la Berceuse et le Final nettement plus réussis.

Incontestablement ému, le chef s'adressa alors au public pour dédier le Boléro « qu'il aimait tant » à son fils Jean-Reynald récemment décédé. Cette œuvre fonctionne en général très bien quand elle file tout droit emmenée par la caisse claire plus que par le chef, dont certains d'ailleurs s'abstiennent quasiment de diriger jusqu'au premier tutti. On l'a dit, ne l'entendit pas de cette oreille et incurva façon chewing-gum la fameuse phrase répétée tant de fois. On admira alors la capacité des musiciens à retomber sur leurs pattes et à se recaler sur la caisse claire restée imperturbable, plus qu'on fut emballé par ce choix musical personnel du chef.

Mais il fallait se faire à l'idée que nos réserves sur les « tics » interprétatifs relevés lors de ce concert n'étaient nullement partagées par l'ensemble du public qui fit une ovation debout (restons français) au dernier accord du Boléro pour être récompensé par des Johann Strauss sûrement espérés : une Valse l'Empereur toute aussi triomphale autant qu'à notre sens « tiquée » que le reste du concert, avant de finir plus en beauté avec une Tritsch-Tratsch Polka enfin droite comme un « i » et qui réconcilia le grincheux pinailleur que nous sommes avec le reste du public.

Crédit photographique : Georges Prêtre © Stefan Trierenberg

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