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Xavier Sabata : Haendel et les mauvais garçons

« Bad Guys » ou « secondi uomini »? Dans les opéras londoniens de Haendel, les deux catégories allaient souvent de pair.

Il était en effet d'usage de confier au second castrat – souvent un chanteur de moindre envergure, comme par exemple Gaetano Berenstadt pour l'Adalberto d'Ottone ou le Tolemeo de Giulio Cesare – le rôle du « méchant », l'empêcheur de tourner en rond, toujours prêt à ourdir ses complots pour parvenir à ses fins. Dans certains cas – le Dardano d'Amadigi, le Polinesso d'Ariodante, par exemple –, le « mauvais garçon » était en réalité incarné par une femme…

Mais le « bad guy » est souvent un amoureux dédaigné, ce qui dans ce cas confère au personnage une ambivalence et une complexité parfois plus difficiles à rendre que la psychologie souvent primaire des « primi uomini », de ceux à qui, amour, gloire, reconnaissance, tout réussit. Dans la gamme des portraits présentés ici par le contreténor espagnol , le « très méchant » (Polinesso, Tolemeo de Giulio Cesare…) côtoie donc le « moyennement méchant », voire – ô surprise – le « pas méchant du tout » : la plage 12 du CD s'achève en effet sur un bonus inattendu, l'air « Sorge in petto » chanté par Goffredo au troisième acte de Rinaldo, et sans doute oublié au cours du montage… Personne ne s'en plaindra !

La voix de est presque trop belle pour de telles incarnations. Le timbre rond et chaud, qui évoquerait presque celui du David Daniels des jeunes années, est un délice pour l'oreille, la musicalité est exquise et la technique triomphante. C'est donc par l'expression que le jeune contreténor espagnol parvient à créer ces portrait dont certains, comme par exemple celui du Polinesso de « Se l'inganno », sont tout à fait terrifiants par leurs vocalises mordantes et leurs intonations menaçantes. Mais c'est dans le chagrin amoureux, dans la tendre mélancolie de l'amant éconduit – un magnifique « Pena tiranna » d'Amadigi, par exemple – que Sabata parvient à créer l'émotion et à défendre des personnages qui, s'ils sont certes des traîtres ou des renégats, n'en sont pas moins des hommes.

Le tout jeune ensemble orchestral Il Pomo d'Oro, fondé courant 2012, est la phalange idéale pour la création de tels portraits, tour à tour incisif et introvertis. À sa tête, le violoniste réalise des prodiges sans doute précurseurs de nombreuses joies à venir.

Que Sabata n'hésite pas à s'attaquer aux « goodies », il en a tout à fait l'envergure.

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