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Bejun Mehta et le professionnalisme à l’américaine

S'il est un fait marquant dans vie musicale baroque de ces dernières années, c'est bien la qualité sans cesse grandissante des contreténors de la jeune génération. Depuis les temps bénis qui ont vu naître l'étoile d'un David Daniels ou d'un Andreas Scholl, après les divers exploits de nombreux pionniers, on ne compte plus les jeunes émules qui l'emportent encore sur leurs aînés en termes de puissance, d'étendue et de musicalité. À l'heure des Fagioli, Cencic, Sabata, Jaroussky, Barna-Sabadus, Hansen, Dumaux, Guillon et tant d'autres, le contreténor est bien plus qu'une curiosité tout juste bonne à faire valoir les voix censées plus « légitimes » de leurs consœurs sopranos, mezzos voire contraltos. Le récent triomphe de l'Artaserse de Vinci à Nancy et à Paris a montré à quel point l'engouement actuel pour une typologie vocale encore jugée « bizarre » il y a quelques années est parfaitement justifié, tant la pure qualité vocale des plus beaux instruments d'aujourd'hui égalent en élégance, en couleur et en beauté de timbre les plus grandes chanteuses du moment.

En France, où les lois de la médiatisation sévissent de manière parfois inexplicable, fait presque figure sinon d'inconnu, en tout cas de grand oublié. Sa brillante carrière internationale, qui l'a conduit sur les plus grandes scènes partout dans le monde, lui a néanmoins permis de s'illustrer à Aix, Lille et Paris notamment. Ce qui frappe, dans son chant et sa présence, c'est tout d'abord la maîtrise absolument totale qu'il a de tous les paramètres qui composent le concert. L'instrument est parfaitement dominé sur toute la longueur du registre, et si Mehta maîtrise également l'art de la coloration, de la mezza voce du trille et de la vocalise, ce n'est à aucun moment pour donner dans l'ostentation ou la virtuosité gratuite. La phrase musicale est à tout moment conduite comme un violoniste jouerait de son archet. Et si la technique est suprême, le goût et la musicalité le sont encore plus. Au cours d'un programme cohérent et ambitieux – aucun tube, aucun air hyper connu ou galvaudé… – il a su tenir en haleine un public qui n'était pas, disons-le d'emblée, conquis d'avance, et auquel il a su révéler les multiples beautés et complexités des subtiles constructions de Gluck, de Hasse – un air de Il trionfo di Clelia donné en bis –, de Jean-Chrétien Bach et du jeune Mozart de Mitridate et d'Ascanio in Alba.

Die – que l'on n'avait pas entendu à l'Arsenal depuis quelque temps – est assurément l'orchestre idéal pour accompagner un tel chanteur. Incisivité des attaques, moëlleux des phrasés, précision du jeu et sens de la rhétorique sont au nombre des qualités les plus frappantes de ce merveilleux ensemble. Les instrumentistes étaient en principe dirigés, comme à l'accoutumée pour les formations « baroqueuses », par le violoniste . Mais l'énergie, la passion et la conviction communiquées à l'ensemble étaient bien celles, et de façon perceptible, de , lequel a su insuffler par la force de son engagement et de son investissement ses propres respiration et musicalité.

Une soirée comme on souhaiterait en passer davantage !

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