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Philippe Bianconi, grand poète du piano

Malgré sa grande carrière en Amérique, était jusqu'à maintenant trop injustement méconnu du grand public français. Mais depuis son passage aux Victoires de la musique classique le mois dernier, cette injustice est réparée : pour preuve, le théâtre de l'Athénée était archi-complet ce soir-là.

Suite à la publication du magnifique disque des Préludes de Debussy, pour lequel il a été nominé aux Victoires, il joue les 24 pièces avec une concentration rare. D'un morceau à l'autre, il adapte son jeu aux caractères très variés et diversifiés, parfois de manière fulgurante. Par exemple, dans le Livre I, pour passer des brumeux et mystérieux Les Sons et les parfums tournent dans l'air du soir aux radieuses et éclatantes Collines d'Anacapri, aussi nettement qu'il le fait, il faut un changement radical sur le plan mental mais aussi physique, et notamment musculaire, ce qui n'est pas toujours aisé. Mais il le fait merveilleusement en un éclair. De même pour le Général Lavine – eccentric à La Terrasse des audiences du clair de lune, du Livre II, en sens inverse. Il ajoute une dimension métaphysique à La Sérénade interrompue en rompant crûment une musique pour en introduire une autre, comme une juxtaposition de deux mondes parallèles.

Dans des pièces où les rythmes sont mis en avant, comme La danse de Puck, Minstrels ou La Puerta del Vino, l'acuité et la netteté rythmique dont fait montre sont plus que convaincantes, tandis que dans des œuvres où la douceur prévaut, comme Danseuses de Delphes ou Brouillards, son expression est infiniment délicate. Dans Des pas sur la neige, la constance des mesures et la simplicité du jeu sont telles qu'on visualise facilement ces empreintes de pas très régulières laissées sur la neige. Et avec quelle magie il enchaîne les trois dernières pièces, Canope, Les tierces alternées et Feux d'artifice, une somme de l'art du compositeur ! En bref, c'est un grand spécialiste des nuances, des couleurs et des évocations pittoresques comme le souhaitait Debussy. Sa fidélité et son humilité devant le texte, exprimée modestement au public par « Je vous remercie de m'avoir accompagné dans ce difficile, mais merveilleux voyage » – il reconnaît donc sans complexe la difficulté de jouer ces Préludes – avant de jouer les deux bis (L'Ile joyeuse et D'un cahier d'esquisses), sont ce qui fait certainement la force de ce pianiste dont la valeur devrait être encore plus largement reconnue.

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