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Rodin et son éternelle idole : La folie en sursis

Pour sa dernière création, signe une brillante adaptation, celle des amours maudites de Rodin et de Camille Claudel.

Le chorégraphe russe, qui aime se saisir de thèmes célèbres pour mieux leur tordre le cou, cultive un esthétisme affranchi de toute convention. Présenté pour la première fois en France, le ballet Rodin et son éternelle idole se révèle un succès total. La dimension romanesque de l'œuvre est prétexte à une vision acerbe et incandescente des dérives créatrices : « Rodin et son éternelle idole est un miroir du prix excessif que les prodiges doivent payer pour la création d'éternels chefs-d'œuvre, mais également le reflet des tourments et des mystères du procédé de création qui troublera pour toujours l'esprit des artistes. »

Cette tragédie dansée est servie par une interprétation magistrale. Lyubov Andreyeva campe une éblouissante Camille Claudel, sauvage, brute et exaltée. Elle livre des batailles insensées, d'abord de femme amoureuse, puis d'artiste incomprise. Car de Camille Claudel, l'histoire aura retenu surtout sa liaison avec le Maître. Oleg Gabyshev interprète un Rodin sombre, torturé, qui porte sur ses épaules – charismatiques ¬– tous les tourments du processus créatif. Nina Zmievets est Rose, l'ange bienfaiteur de Rodin. La longiligne russe, qui semble tout droit empruntée à un ballet de Mats Ek, nous a bluffée : quelle présence ! Le niveau de la compagnie est remarquable. Les danseurs, grands, fins et athlétiques, portent « la patte Eifman », reconnaissable entre mille. Le chorégraphe, tel un sculpteur, pétrit, modèle, métamorphose et déconstruit les corps. Ce flot sensuel est une torture pour le corps des danseurs mais un régal pour l'œil.

Rodin et son éternelle idole, c'est l'histoire d'une osmose parfaite entre la danse et la narration. Les scènes prenant place dans l'asile d'aliénés sont exceptionnelles. Les patientes, âmes errantes déjà coupées du monde, se meuvent, sombre ironie, sur la musique du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. La seconde partie du ballet, plus romanesque et moins sombre, n'en est pas moins réussie. Rodin et son éternelle idole est un ballet viscéral dont on ne ressort pas indemne.

Crédit photographique : Eifman Ballet Théâtre

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