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A Paris, Gustavo Dudamel dirige La Passion selon John Adams

C'est en décembre 2000 que le Théâtre du Châtelet accueillait avec beaucoup de retentissement la création mondiale d'El Niňo, oratorio de la Nativité de , dédié à son collaborateur et ami qui en réalisait la mise en scène. Le compositeur américain poursuit ce cycle liturgique avec The Gospel According to the Other Mary, opéra/oratorio de Pâques en deux actes et onze scènes qui a été crée en mai 2012 à Los Angeles et présenté, en création française et dans sa version définitive, sur la scène de Pleyel le week-end dernier, avec les forces vives du Los Angeles Philharmonic et la Los Angeles Master Chorale sous la direction de leur chef . en écrit cette fois le livret et conçoit une mise en espace minimale sur le devant d'un plateau où se déploie très largement l'orchestre: deux estrades de bois à cour et à jardin, le ressort de la lumière (sans même de vidéo) et l'efficacité de cet homme de génie pour animer un espace de quelques mètres carrés et faire circuler les énergies: celle du choeur, en fond de salle, dont les interventions s'accompagnent d'une chorégraphie de gestes très spectaculaire et celle des chanteurs doublés par trois superbes danseurs qui endossent la dramaturgie en une sorte de « surimpression chorégraphique ».

Comme dans El Niňo, l'histoire de la Passion (incluant d'ailleurs la Résurrection) du Christ, qui convoque ici Marie-Madeleine (« The other Mary »), sa soeur Marthe et leur frère Lazare, qui ont accompagné Jésus jusqu'à sa mort, est aussi une réflexion sur la condition humaine dans la société d'aujourd'hui. Le livret mêle l'anglais, le latin et l'espagnol et met en résonance des faits d'actualité, notamment la violence faite aux femmes, en plaçant Marie et Marthe dans « l'éternel présent ». Les scènes introductives de chacun des actes (Prison/Hospice et Rafle de Police) mobilisent les énergies d'un choeur superbement investi et ébranlent l'atmosphère par le retentissement sonore de tableaux « bruyants et chaotiques » tirés de l'actualité. emprunte à divers textes, ceux des poétesses Doroty Day et June Jordan, de Rosario Castellanos, Hildegarde von Bingen, ainsi que le poème du moderniste précurseur Rubén Dario et Pâque de l'italien Primo Levi: autant de sources, déjà là dans El Niňo pour tisser en contrepoint les voix du profane et du sacré, du biblique et du contemporain.

, quant à lui, réexploite la trouvaille des trois ténors prenant en charge, indirectement, le personnage de Jésus (qui s'exprimera aussi à travers les voix du choeur et des autres protagonistes). Le profil litanique qu'ils adoptent le plus souvent et la texture vocale sont d'une absolue réussite. Les ressorts dramaturgiques de la partition résident dans l'alternance bien sentie entre des tableaux très ritualisés – l'image des Pieta de la peinture flamande transparait plus d'une fois – où la vocalité psalmodique domine, et la manière pulsée et répétitive du compositeur américain où le chant expressif et largement déployé rejoint celui du Gospel. Les deux voix de femmes – mezzo et contralto – sont très impressionnantes par l'étendue d'un registre qu'elles exploitent avec la même aisance. A côté de Tamara Mumford/Martha, au timbre flamboyant, la mezzo-soprano Kelley O'Connor/Mary sidère par l'ampleur de sa ligne vocale toujours très contrôlée et les couleurs qu'elle donne à son chant très généreux. Le ténor /Lazare, voix « naturelle » magnifiquement épanouie, retient toute l'attention de la fin du premier acte. D'une belle efficacité sonore également, la déclamation du choeur sur les pattern mélodico-rythmiques de l'orchestre, sonne comme une sorte de choral écrit dans une autre syntaxe.

Rompu à l'écriture motorique du compositeur, le Los Angeles Philharmonic, sous le geste fluide, aérien et réactif de Dudamel, donne le meilleur de lui-même dans les séquences pulsées et à « haut voltage »; mais on l'apprécie également dans les pages plus méditatives du récit qu'Adams cerne d'une aura sonore très raffinée où résonnent des gongs multiples et un cymbalum très sollicité.

Il y avait ce samedi soir à Pleyel une synergie d'ondes positives – celles que nous communiquait notamment Peter Sellars, rayonnant, au sein du public – et de talents sur le plateau pour insuffler à ce rituel pascal revisité par toute sa ferveur et son intensité.

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