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Le Quatuor Ysaÿe joue Beethoven, Brahms et Schoenberg

Ces deux disques du nous parviennent en même temps alors qu'ils ont été enregistrées en 2006, 2008 et 2011. Ils permettent en tout cas de confronter le quatuor français aux classicismes viennois (au pluriel) de Beethoven à Schoenberg en passant par Brahms et de suivre ainsi trois étapes fondamentales de l'évolution de la musique de chambre, même si, ayant choisi la version pour sextuor de La Nuit transfigurée (avec le renfort tout aussi viennois de deux membres du Quatuor Alban Berg), les Ysaÿe se sont pour cette fois arrêtés avant la révolution que Schoenberg allait opérer dans ses quatuors postérieurs à son très romantique op.4.

Enregistrés à Paris en 2008, l'ensemble des trois quatuors de Beethoven a fière allure et conserve une superbe cohérence alors qu'ils parcourent en raccourci le corpus beethovénien de l'op.18 de 1798-1800 à l'ultime op.135 de 1826 en passant par l'harmonieux op.74 de 1806.

A l'évidence les quatre instrumentistes ont parfaitement pensé leur interprétation de la première mesure du troisième quatuor à la dernière du seizième, dosant parfaitement bien les subtiles évolutions de ton qu'ils allaient apporter à chacun des quatuors. A ce jeu nous avouerons une préférences aux deux premiers qui nous semblent baignés d'une lumière naturelle là où le dernier nous parait par moment quelque peu forcé dans des retranchements qui vont peut-être un peu loin. Dès l'opus 18 ils mettent une énergie typiquement beethovénienne dans leur interprétation sans pourtant jamais bousculer le discours, propulsant ainsi avec une franche douceur ce quatuor vers l'avenir (la façon très subtile dont ils retiennent le temps dans l'Allegro initial par exemple). On peut même dire que Brahms et Schoenberg ne sont plus très loin non plus et on pressent fort bien ici ce qui peut lier ces trois compositeurs. Si cela avait un sens non équivoque nous dirions que les Ysaÿe posent un regard moderne sur ces œuvres, hors de toute considération musicologique en même temps que pétrie de sobriété et assez peu teinté de romantisme. Ne poussant jamais le tempo dans des zones à risque et conservant toujours une parfaite lisibilité à leur discours, ils parviennent à conserver l'attention de l'auditeur même sur une longue durée (Adagio ou final à variations du n°10). Paradoxalement cet éclairage moderne nous a semblé retenir quelque peu l'expressivité du quatuor n°16, avec ses deux premiers mouvements manquant un peu de séduction et d'élan, un Lento assai tout en pudeur et un Allegro final qui joue volontiers sur la confrontation insistante de la question et de la réponse (« Le faut-il ? Il le faut ! » ajouté par Beethoven) sans peut-être trouver le liant idéal qui donnerait à ce mouvement toute sa cohérence.

Deux ans plus tôt le même ensemble se retrouvait pour le troisième quatuor de Brahms au Mans dans l'acoustique de l'Abbaye de l'Epau, fort bien maîtrisée par les ingénieurs du son, presque aucun « effet d'église » n'y étant perceptible. On y retrouve la même qualité d'engagement et de pudeur simultanée qui caractérisait les Beethoven. Si cela ne nous avait pas vraiment gênés alors, peut-être qu'un peu plus de tension, de contrastes, d'emportements auraient donné à ce « raisonnable » Brahms un surplus d'expressivité qui nous aurait plus franchement emporté avec lui. Ce à quoi finalement échouera une bien trop réservée Nuit transfigurée, un peu lointaine, qui laisse l'auditeur à l'extérieur de l'action, ne lui fait que trop rarement ressentir une émotion physique ou un suspens narratif. La qualité instrumentale est là, mais l'esprit pas trop.

Signalons le bel effort éditorial de la part de l'éditeur qui offre une notice explicative complète, avec une classique analyse des œuvres pour l'album Beethoven, mais une bien plus détaillée analyse du quatuor de Brahms et surtout de La Nuit transfigurée que l'auditeur peut ainsi suivre pas à pas. Dommage que l'interprétation ne soit pas plus passionnante

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