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Unique ballet de Kaija Saariaho à Paris

Ce concert était le premier d'une série consacrée au Domaine Prive de , à la Cite de la Musique. A cette occasion était créé pour la première fois en France le seul ballet de la compositrice, Maa.

En finnois, « maa » signifie « terre », « pays », et c'est bien dans son propre domaine musical que nous emmène, domaine comprenant sept régions différentes, correspondant chacune a un mouvement du ballet. La partition est écrite pour effectif réduit : un ensemble hétéroclite de – encore une fois – sept musiciens, qui ne jouent tous ensemble que dans le dernier mouvement. Le choix des instruments amène une richesse musicale qui justifie pleinement cet effectif, et qui rend l'œuvre d'autant plus intime. En plus de la musique acoustique, de la musique électronique, et de la danse, nos sens étaient également sollicites par la vidéo en temps réel, projetée sur un pentagone irrégulier de tissu flottant au-dessus de la scène.

Le premier mouvement, Journey, uniquement musical (pour bande), est véritablement le voyage introductif qui nous permet de rejoindre Maa. Des bruits (de pas ?) scandent un rythme régulier rapide, dont la spatialisation délimite l'espace musical à découvrir par la suite. Dès ce premier mouvement, quelques particularités du morceau, que l'on retrouvera tout du long, nous sont présentées, comme la présence de « bruits naturels » enregistrés (vent, mer,…) ainsi que la projection vidéo des danseurs. L'arrivée de ces derniers sur scène permet la transition vers la musique acoustique, commençant au deuxième mouvement. Il apparait alors immédiatement que la musique de Maa n'est absolument pas mélodique, mais insiste plutôt sur la texture des timbres et des harmonies, ainsi que sur l'atmosphère idiosyncrasique de chaque mouvement du morceau. Ainsi, dans le deuxième mouvement, Gates, la flute, le violoncelle et le clavecin offrent un large panel de timbres : appels plaintifs de la flute, tremolos profonds du violoncelle, trilles incisives du clavecin. La flute est également utilisée en tant que percussion. Le résultat fusionne de façon réussie avec l'électronique, toujours discrète, rajoutée par-dessus – par des amplifications, par exemple. De la même façon, l'électronique permettra de donner plus de corps aux mouvements ou des instruments sont joues solo (ils ne sont alors plus à l'arrière-scène mais parmi les danseurs) : ainsi, dans Door, les résonances des envolées sonores du violon lui permettent de s'accompagner lui-même, et la harpe fait de même grâce à ses cordes graves dans Fall (l'automne, ou bien la chute ?).

Les danseurs suivent tous un motif semblable. Partant d'une position immobile, détendue (assis, couches), leurs corps semblent subir des mouvements très fluides par à-coups, interagissant parfois entre eux, jusqu'à un retour au repos. Dans Windows et Phoenix, les danseurs manipulent une sorte de mobile-marionnette illumine, ce qui crée une triple présence supplémentaire : le mobile lui-même, son ombre projetée sur les murs, et son image par vidéo. L'intérêt de la vidéo réside principalement dans le fait qu'elle nous fournit un autre point de vue de la chorégraphie : on peut observer les mouvements des danseurs d'un autre endroit, comme à travers un nuage de fumée.

La partition nous fait ressentir sept ambiances différentes, mais elles se rejoignent par endroits : en effet, de nombreux éléments harmoniques ou rythmiques se retrouvent plusieurs fois au long du ballet, en particulier dans le dernier mouvement, Phoenix, qui semble rassembler tous ces éléments en plus de rassembler tous les musiciens. Le ballet se termine ainsi sur des accords répétés dont les sons se diluent dans le silence. Dans l'ensemble du ballet, présente donc, comme à son habitude, une matière harmonique et de timbres extrêmement précise et décortiquée, qui permet donc un voyage en Maa particulièrement convaincant et réussi. Les éléments harmoniques et rythmiques – voire pulsatiles, ou percussifs – sont utilisés avec retenue et doigte pour un résultat très intime. Cette intimité est d'ailleurs renforcée par des chuchotements qui viennent visiter la bande sonore de temps à autre. Les musiciens de l' de New York, qui connaissent bien les œuvres de la compositrice, ont été irréprochables, et la prestation de la flutiste Claire Chase particulièrement impressionnante.

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