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Le Brahms généreux de Kertész

Le 16 avril 1973, le chef d'orchestre d'origine hongroise , bien qu'excellent nageur, se noyait au large d'Israël. Il avait 43 ans. Ce fut un choc qui bouleversa le monde musical voyant en lui le digne successeur de Ferenc Fricsay décédé d'un cancer dix années plus tôt à l'âge de 48 ans.

Durant sa courte existence, Kertész parvint à édifier une discographie peut-être relativement modeste, mais sans aucun doute très enviable, essentiellement chez Decca, et dont trois intégrales de symphonies constituent assurément l'un des sommets : Dvořák avec le , Schubert et Brahms avec l'. Si la première est à juste titre célèbre et toujours de référence, comme toute première intégrale des symphonies de Dvořák, véritablement complète, en stéréo, et due à un seul orchestre et un seul chef, les deux autres sont moins connues, sans doute en raison d'une concurrence plus rude entre chefs : en 1966-67 le pionnier Sawallisch grave pour Philips la toute première et superbe intégrale des symphonies de Schubert avec la Staatskapelle de Dresde, suivi de Menuhin en 1967-68 chez EMI, Kertész n'achevant la sienne qu'en octobre 1971 ; quant aux intégrales des symphonies de Brahms, on ne les compte plus.

avait très certainement l'intention de graver sur disque l'œuvre orchestrale entière de Brahms, mais le destin en a décidé autrement : c'est un peu en testament musical qu'il nous a légué sa vision des quatre symphonies, car au jour de sa disparition le 16 avril 1973, il n'avait pas terminé l'enregistrement des Variations sur un Thème de Haydn. La Philharmonie de Vienne, avec laquelle il avait toujours eu de réciproques affinités artistiques particulièrement chaleureuses et fructueuses, lui rendit un hommage bien mérité en parachevant l'enregistrement, sans chef d'orchestre, le 14 mai 1973. On regrettera pour toujours l'absence des Ouverture pour une fête académique op. 80 et Ouverture tragique op. 81…

Kertész entame son cycle Brahms le 11 mai 1964 par la Symphonie n°2 en ré majeur op. 73, considérée universellement comme la « Pastorale » du compositeur hambourgeois. Dès ce moment, le grand chef affirme néanmoins sa personnalité en lui conférant un caractère plus dramatique que de coutume, mettant en évidence son chromatisme, accentuant les traits de timbales et les dissonances des trombones dans le développement du premier mouvement, et laissant admirablement chanter le merveilleux cor solo viennois dans la péroraison de ce même mouvement, faisant ainsi de cette œuvre l'évident prolongement de la Symphonie n°1 en ut mineur op. 68 plutôt que de l'en différencier. prit toutefois son temps pour mûrir sa conception brahmsienne avant d'enregistrer une autre symphonie en novembre 1972, la Symphonie n°4 en mi mineur op. 98. Mais entretemps il ne resta pas sur ses lauriers, car il grava avec une poésie fine et expressive les deux belles et juvéniles sérénades en octobre et décembre 1967, cette fois avec l'Orchestre Symphonique de Londres.

Tout au long de ce voyage dans le plus pur romantisme allemand, István Kertész nous propose des interprétations respectueuses du texte musical (jusqu'à l'exécution de toutes les reprises), intelligentes et fouillées, généreuses et enthousiastes, d'une technique orchestrale irréprochable au service d'une sensibilité frémissante de très grand musicien. Ce sont là des exécutions exhaustives et de toute grande classe qui se situent parmi les plus accomplies, les plus abouties. Ces enregistrements ont déjà connu plusieurs incarnations en CD, mais l'édition australienne actuelle sous rubrique est nettement préférable non seulement par son prix modeste, mais aussi parce qu'elle restitue judicieusement la Sérénade n°1 en ré majeur op. 11 sur un seul disque, couplée idéalement cette fois à la Sérénade n°2 en la majeur op. 16, alors que précédemment elle était malencontreusement scindée en deux CDs, encadrée des Symphonies n°3 et 4.

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