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I was looking at the ceiling and then I saw the sky

I was looking at the ceiling and then I saw the sky est une œuvre de , créée en 1995 à Berkeley, dont le genre est difficile à définir : classée dans la catégorie « Musical » (comédie musicale) sur le site du théâtre du Châtelet, elle est définie dans le livret du même théâtre comme un opéra ou un songplay.

L'œuvre se présente comme un enchaînement de courtes saynètes chantées pour la plupart, quelques-unes étant parlées comme au théâtre. La musique s'inspire grandement du jazz, de la funk, du rock et autres musiques de « variété », avec quelques touches de musique minimaliste. La formation musicale est d'ailleurs très réduite, se limitant à une petite dizaine de musiciens : quelques keyboards, deux vents, deux cordes, une batterie. Cette petite formation réussit néanmoins à bien emplir l'espace sonore de la salle, éclipsant même parfois les chanteurs, et son esprit intimiste – surtout dans les scènes plus lyriques – convient parfaitement à l'ambiance recherchée.

La plupart des petits tableaux présente un ou deux personnages parmi les sept que contient l'œuvre, sous fond d'une ambiance musicale souvent rythmée et bien définie en fonction du thème abordé. Les personnages vivent dans un quartier défavorisé de Los Angeles et un aperçu de leur vie quotidienne nous est proposé, ainsi que le bouleversement de cette vie après le tremblement de terre de 1994. Le livret de June Jordan mélange dialogues, rimes, argot et chansons, et dépeint des personnages qui sont intéressants et naturels sans être caricaturaux. Cependant, après le tremblement de terre, le chamboulement de leur vie paraît un peu trop brusque, et les décisions parfois inattendues de certains personnages – comme la relation qui se crée entre Rick et Tiffany – peuvent sembler arriver comme un cheveu sur la soupe. Les personnages sont bien interprétés par les chanteurs, dont le jeu d'acteur est très réussi. Le groupe de sept chanteurs est d'ailleurs très homogène, toutes les voix étant globalement très agréables à écouter. On retiendra particulièrement la performance de Wallis Giunta, superbe en Tiffany, et qui semble avoir trouvé le parfait équilibre entre voix d'opéra et voix « simple » de chanteuse plus décontractée. La voix douce et chaude de convient parfaitement au personnage de Consuelo, celle de Janinah Burnett en Leila manque parfois de corps mais est agréablement sucrée. Parmi les personnages masculins, Joel O'Cangha est très convaincant en pasteur séducteur, ses improvisations jazz et son rôle de crooner étant très réussies, mais en Dewain force un peu trop sa voix dans les fortissimos.

Le décor, représentant des bâtiments toujours changeants, est différent dans chaque scène. Sur ce décor est projetée en permanence une vidéo qui alterne entre dessins, photos de personnages et vidéos, le tout donnant un résultat vivant et dynamique très appréciable, collant parfaitement à l'ambiance détendue de l'opéra. Les scènes les plus réussies ont été le solo jazz langoureux de Tiffany, qui s'adresse à une image de Mike projetée sur un mur, l'arrestation musclée de Dewain, le tribunal (pour les interactions entre les différents personnages), et surtout un magnifique trio de femmes a cappella, groovy et sexy qui clôt le premier acte. Mais malgré ces scènes très belles et les qualités intrinsèques des musiciens, l'ensemble de l'œuvre peine à convaincre totalement. Les tableaux s'enchaînent les uns aux autres, mais au final le rythme s'essouffle, et cela nous laisse sur notre faim : la même recette est souvent réutilisée, et on aurait aimé voir plus de véritables duos avec mélanges des voix, plus de scènes de théâtre, plus d'action et d'interaction entre les personnages. Ces idées ne sont malheureusement qu'esquissées tout au long de l'œuvre, et l'on ne peut s'empêcher de penser que le résultat global aurait eu un peu plus de relief si elles avaient été plus exploitées. En effet, souvent, les personnages sont seulement « là », présents sur scène, et ne font que se répondre successivement l'un l'autre à coup de lignes musicales classiques sur un accompagnement rock ou be-bop. Parfois la ligne musicale prend des atours pseudo-expressionistes, donnant un résultat assez curieux et peu convaincant étant donnée la nature de l'accompagnement. De même, tout comme pour le « coeur de plutonium » de Doctor Atomic, il est difficile ici d'entendre des mélodies d'opéra parler de « préservatifs » tout en gardant son sérieux. Les surtitres ne sont d'ailleurs pas très fidèles au texte d'origine : ils comportent quelques erreurs et accentuent à outrance l'argot des dialogues, transposant tout à la limite du vulgaire.

Malgré tout, musicalement parlant, les atmosphères recherchées sont réussies et le tout est très agréable à écouter. L'ouverture, minimaliste à la Steve Reich, peine à trouver sa pulsation, mais, quand la musique minimaliste est mêlée à la funk ou au jazz, elle prend une tout autre ampleur grâce à des changements de rythme et des élans très intéressants. Cependant, le climax – le tremblement de terre – est assez mal géré, la formule s'étant alors déjà essoufflée, les mécanismes de tension étant trop évidents et les choix que font les personnages s'avérant assez obscurs. Et au final, le destin assez tragique de la majorité des personnages ne parvient pas à nous émouvoir plus que cela.

Crédit photographique: (Dewain); Janina Burnett (Leila), (Consuelo) © Marie-Noëlle Cros

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