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Passe ton Bach d’abord : Branle-bas de musique à Toulouse

Malgré ce printemps frais et pluvieux, la 6e édition du merveilleux et si original festival « Passe ton Bach d'abord », inventé par et les musiciens de l', a connu à nouveau un vaste succès populaire. On sait depuis trois siècles que la musique de Sebastien résiste à tout, des moustaches jazzistiques aux sonneries de téléphone, en passant par d'innombrables adaptations et orchestrations, pour demeurer l'incarnation de La Musique.

Imaginez la 4e ville de France sous la pluie, qui vibre passionnément pendant trois jours à la seule évocation du nom de Bach. D'innombrables concerts ont lieu en même temps en de multiples lieux patrimoniaux, y compris des bars de la ville, et tous affichent complet. Des files se forment une demi-heure avant chaque concert et lorsque la jauge est pleine, les organisateurs sont obligés de refuser du monde. Certains sont mécontents, mais un tel succès autour du thème « Bach ou le voyage immobile » est plutôt rassurant pour notre société que d'aucuns disent perdue. Un joli signe de contradiction quand la mort de la musique classique ou savante est programmée par nos modernes docteurs Diafoirus. Et mieux encore, tous les âges et toutes les catégories sociales sont représentés.

En prélude à la fête, des rencontres professionnelles s'interrogeaient sur le public du concert classique et les croisements entre musique classique et les autres arts vivants. La question qui vaudrait un article à elle seule se pose plus pour les responsables politiques confrontés aux réalités financières, qui sont tentés de réduire les financements pour un art qu'ils considèrent à tort comme « élitiste ». Les faits démentaient les sombres analyses dès le vendredi soir car la cathédrale Saint-Étienne était comble pour le concert d'ouverture autour du Stabat Mater de Pergolèse.

L' en donna une interprétation superlative avec deux solistes célestes, la soprano et le contre-ténor . Adéquation absolue de deux timbres complémentaires entre la clarté de la soprano et la douceur du contre-ténor, dont la formidable tenue vocale évoque rien moins que le grand précurseur que fut Sir Alfred Deller… Les duos sont à tomber avec de brefs mélismes sensuels atténuant la douleur. Cette œuvre phare du répertoire baroque résume toute la période de la souffrance indicible du drame de la croix jusqu'à l'espérance et la joie retrouvée dans l'Amen final.

Bach tenait cette œuvre en telle estime qu'il se l'appropria vers 1740 et l'adapta de la plus belle manière au psaume 51 Tilge, Höchster, meine Sünden (Efface, Dieu mes péchés) BWV 1083. Ce numéro tardif du catalogue s'explique par une redécouverte de façon éparse à la Staadtbibliotek de Berlin en 1946 et une première édition en 1989.

Avec la 2e suite en si mineur pour flûte et orchestre, on retrouve l'ensemble toulousain en grande forme, qui se bonifie de programme en programme, tandis que le traverso de , au son d'un velouté délectable, fait merveille (Badinerie d'un grand naturel…). Entre temps, offrait une vision inspirée et inventive du concerto pour basson en mi de Vivaldi, sans doute le plus riche parmi la quarantaine que le prêtre roux composa. Ce concert inaugural résume l'esprit de ce 6e festival par ce voyage de l'esprit que Bach réalisa tout au long de sa vie, sans jamais quitter son Allemagne natale.

On ne peut assister à tout et le choix s'avère parfois délicat, mais avec des artistes de tous horizons, l' est sur tous les fronts : amphithéâtre de l'université Toulouse Capitole, Chapelle des Carmélites, Palais consulaire, auditorium Saint-Pierre des Cuisines avec des œuvres multiples : Messe brève en sol mineur de JS Bach, Premier Ordre des Nations, La Françoise de F. Couperin ou cette suite imaginaire faite d'extraits d'ouvertures de Lully, Marais, Couperin, Marchand, mais aussi le toulousain Bernard Aymable Dupuy. Et individuellement, ses musiciens ne sont pas en reste comme le violoniste qui a mis en regard les deux monuments violonistiques que sont la Chaconne de la 2e Partita de Bach avec la tout aussi redoutable Passacaille qui conclut les Sonates du Rosaire de Biber.

On aura particulièrement apprécié l'audacieuse virtuosité des guitaristes Sébastien Linarès et dans une savoureuse transcription à deux guitares des Variations Goldberg. Cette configuration renouvelle les couleurs de cette œuvre énigmatique, considérant que des cordes pincées du clavecin à celle de la guitare, l'écart est moindre que celui du passage au piano, à l'orgue, voire à un ensemble instrumental. Et Bach n'a cessé de faire ainsi tout au long de sa vie. Respectant à la fois l'œuvre et leur instrument, les jeunes musiciens ont choisi des tessitures, des tempos et des ornements convenant parfaitement à l'exercice. L'écoute du public était intense jusqu'à une petite fille de 3 ans aux yeux grands écarquillés.

Foin des querelles d'authenticité, on a aussi goûté un Concerto Italien jubilatoire sous les doigts du pianiste Philippe Monferran. Il y adjoignait une Suite Française N° 2 selon un toucher souple, précis, sensible et un discours d'une grande cohérence.

Une des propositions les plus étonnantes de ces « folles journées » toulousaines fut la création de XVIII-21 Le de , qui confronte la musique de la famille Bach avec l'exotisme oriental par le biais d'influences ottomanes. Fidèle à sa démarche, le flûtiste voyageur nous raconte en musique la surprenante destinée de Johann Jakob Bach, un frère aîné de Sebastien, au service du roi de Suède Charles XII, qui se retrouve prisonnier à Constantinople avec son souverain. Il y apprend la flûte traversière par l'entremise d'un musicien français, Gabriel Buffardin, avant de la pratiquer assidûment puis de l'enseigner à la cour de Dresde à un certain Quanz, qui ne sera autre que le professeur de Fréderic II de Prusse. C'est ainsi que ce nouvel instrument de conception française se développe dans l'Allemagne princière au point de s'appeler « flûte allemande », mais ses secrets étaient importés de Turquie. Les instruments baroques se mêlent au qanun, oud et autres percussions en une curieuse alchimie où les musiciens se retrouvent sur la pulsation et le rythme. Les musiciens n'auraient-ils pas fait l'Europe à leur façon, alors que plusieurs siècles après nos politiciens piétinent encore sur le sujet ?

Ce marathon s'achevait en apothéose le dimanche après-midi à la cathédrale Saint-Étienne par la traditionnelle « Cantate sans filet » selon l'ambitieux projet cher à et ses musiciens. L'œuvre choisie était sans doute la plus célèbre du corpus du Cantor, la BWV 147 Herz und mund und Tat und Leben avec son fameux double choral « Jésus que ma joie demeure », que le public reprend en chœur avec ferveur et allégresse.

Rien de mieux pour conclure une fête totale de la découverte et du partage musical. À tous ceux qui s'interrogent sur le devenir du concert classique, ce festival novateur apporte une réponse des plus optimistes quant à la fréquentation et à la satisfaction du public. Offrir la musique en partage avec enthousiasme, il n'aurait jamais dû cesser d'en être ainsi !

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