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Mihkel Poll: le piano du XXème siècle

« Je pense qu'il est important de jouer la musique de notre temps » déclare , jeune pianiste estonien au talent fou qui grave chez Ondine son premier CD : avec de la musique du XXème siècle donc et quelques grands représentants du répertoire pianistique, du Gaspard de la Nuit (1908) de Ravel aux Three Songs (2008) de sa compatriote , en passant par l'école russe et l'incontournable dont les Etudes constituent aujourd'hui la pierre angulaire de l'écriture pianistique contemporaine.

On est d'emblée saisi par la conception sonore et formelle avec laquelle aborde Gaspard de la nuit. La sérénité d'Ondine, à fleur d'émotion, ménage tout à la fois la transparence de la texture et le sensualisme des courbes. est à l'écoute du son dans Le Gibet dont il enveloppe les sonorités d'une aura mystérieuse. On saisit sous les doigts du jeune interprète tout ce que Ravel doit ici à Debussy. Scarbo est intelligemment conduit, dans un jaillissement de couleurs et une variété de strates sonores que le toucher sensible et contrôlé du pianiste sait mettre en relief.

La rare Sonate n°1 de et les Deux Nocturnes d', oeuvres de jeunesse des deux compositeurs russes, sont écrits dans la même année 1926; à l'exemple de Scriabine et dans une puissance percussive qui regarde vers Stravinsky, Chostakovitch compose sa première sonate en un seul mouvement, d'une audace et d'une fulgurance que le régime stalinien ne manquera pas de condamner quelques années plus tard. Cette Sonate restera d'ailleurs dans les tiroirs du compositeur jusqu'en 1970. Mihkel Poll y déploie une énergie galvanisante, avec une homogénéité sonore et une maîtrise sidérante du clavier, occupé ici dans tous ses registres. Plus rares encore, les Deux Nocturnes de Mossolov adoptent un cheminement très libre et découvrent à mesure une richesse spectrale vibrante et gorgée d'énergie sous le geste ample et puissant du pianiste.

L'intérêt culmine dans les trois Etudes de Ligeti (choisies dans les trois Livres du Maître) tant par la hauteur du propos que par l'émotion qu'en dégage l'interprétation de Mihkel Poll: celle d'Arc-en-ciel dont la polyphonie flottante est ici nimbée d'aura poétique, tout comme White on White, un simple canon sur les touches blanches conclue par une coda impulsive et très ligetienne. L'escalier du diable, véritable défi lancé au pianiste, met à l'oeuvre le jeu fougueux autant que maîtrisé du jeune pianiste.

Sans l'esprit facétieux d'un Ligeti, les « trois Chants pour le piano » de la compositrice estonienne , qui referment l'album, évoluent dans une sphère intimiste et minimale et une temporalité à laquelle notre interprète donne une intensité très singulière; autant de qualités chez ce jeune pianiste au jeu puissant et racé qui ne devrait pas tarder à investir la scène internationale.

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