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Dans les pas de Slava avec Antoine Pierlot

Interprète infatigable et de génie, Mstislav Rostropovitch a suscité nombre de partitions capitales pour son instrument, dont les trois superbes Suites pour violoncelle seul de , composées de 1964 à 1971. Ces oeuvres sont autant des gages d'amitié qu'un hommage aux formes de la musique baroque et à Bach ; elles exploitent de façon fort ludique (voire diabolique) le potentiel tonal et polyphonique de l'instrument en une succession de tableaux musicaux très inspirés.

Le violoncelliste , jeune mais déjà fort expérimenté, relève de façon magistrale le défi de ces pièces dans cet enregistrement capté en direct dans le cadre des Flâneries Musicales de Reims. On notera tout de suite le choix heureux du lieu de la captation, résonnant, qui permet à cette musique d'exprimer ses harmonies sans sombrer dans le flou.

Des trois suites, la première possède la structure la plus claire, fondée sur un principe d'alternance entre des ritournelles et des pièces de caractère. L'interprétation qu'en donne est une réussite ; on suit avec grand intérêt les métamorphoses successives du grave Canto, cependant que chaque miniature exprime son univers sonore et poétique de façon idéale : la fugue, la sérénade ou la marche sont d'une emphase grotesque, qui masque un sentiment d'angoisse sous-jacent, exprimé dans le bouleversant Lamento monodique ou le bourdon. Le tout se clôt par la lutte entre le thème du Canto et un inquiétant motif perpétuel – une lutte jusqu'à l'épuisement, fascinante, mais dont l'issue reste incertaine. Notre coup de coeur de cet enregistrement.

La Deuxième Suite est plus ramassée, et, il faut le dire, un cran en-dessous du point de vue de l'inspiration. On en retiendra toutefois le Scherzo, dont les brusques sautes d'humeur sont l'occasion pour le violoncelliste de faire montre de l'étendue de son registre expressif, entre fureur et douce méditation, et la chaconne finale, bien sûr. Véritable morceau de bravoure, superbe et redoutable, cette pièce est toute animée d'une grandeur tragique, que restitue (encore une fois !) idéalement l'interprète avant la cadence finale, en forme de pied de nez à la Till l'espiègle.

La Troisième Suite enfin synthétise quelque peu ses devancières, puisqu'elle renoue avec la structure éclatée de la première tout en se concluant par une forme à variations, ainsi que la deuxième. L'esprit se rapproche davantage de celui de la fantaisie que de la suite, ce qui se traduit notamment par des passages de récitatif, cependant que Britten maintient l'unité de l'oeuvre par des références à des thèmes populaires ou liturgiques russes, particulièrement claires dans la passacaille finale. Le tout n'est pas des plus riants, mais quelle musique!

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