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La tragédie bohémienne de Carmen aux Cantiere de Montepulciano

Le 20 juillet dernier, au ravissant petit Teatro Poliziano, on a pu voir la « Prima rappresentazione assoluta » d'une Carmen concentrée, réinventée par le compositeur , sur un livret réaménagé par Chiara Villa, la metteure en scène, avec les deux comédiens, Jeanne Barbier et Francisco Gil.

Pas de rideau. Pas de décor, juste une table et, quelque peu incongrue sur l'avant scène, une massive fontaine peut-être simplement posée là parce que cette année le festival a pour thème l'eau. Pas de séparation entre les musiciens et les spectateurs.

La scène est vide. Au fond, un cercueil incliné rouge sang, situé exactement sur le point de fuite du regard indique d'emblée la destination finale.

Les musiciens sont là. Un comédien apparaît sur la scène et prend la parole, Francisco Gil charismatique et intense. Il raconte, il annonce la couleur; ce sera sombre. Le chef d'orchestre entre par la salle, sans bruit, vêtu de noir, un châle ocre sur l'épaule. Derrière lui un haut tabouret sur lequel Carmen viendra s'asseoir pour tenter de le séduire, lui aussi. Puis c'est Micaëla qui surgit dans la salle. Elle passe parmi les spectateurs, elle demande si l'on a vu Don José. Inquiète, déjà désespérée. Comme s'il était déjà mort. Personne ne l'a vu. Non. Personne. Elle disparaît.

Imperceptiblement le silence se transforme en musique, mélodrame de violoncelles rauques, essoufflement de violons. Pour , «c'est avant l'ouverture proprement dite, un Prélude qui invite les spectateurs à comprendre que la mort est là en permanence. »

Le thème reviendra souvent au cours du spectacle, notamment dans l'air des cartes, habituellement clair et léger, ici « orchestré d'un bout à l'autre en un long crescendo de menace », explique le compositeur, « avec des roulements de grosse caisse et de gros cuivres qui font vibrer l'air dans les graves… ».

Comme souvent a composé pour un effectif orchestral réduit mais incroyablement expressif qui crée l'atmosphère et soutient les chanteurs. Onze musiciens seulement, dont un trombone, une guitare, et un accordéon qui accentuent l'effet « tzigane ». Contrairement à la partition originale de Bizet animée et brillante, celle de Pierre Thilloy est tragique d'un bout à l'autre, posée sur une vibration permanente. La musique est certainement le point fort de cette production.

Les auteurs de cette version de Carmen, nous attirent dans une mécanique inexorable qui recentre l'argument sur l'assassinat d'une femme par un homme qui veut la posséder. Amoureux fou et pourtant conscient. En Italie cela arrive encore très souvent aujourd'hui et il y a un mot pour ça, « feminicide ».

Aucun excès de mise en scène, des costumes dont la perfection est de se fondre, de soutenir l'action sans se faire voir.

Les airs célèbres s'enchaînent inchangés, chatoyants, en décalage avec l'adaptation toujours à fleur de peau. Les chanteurs sont trop jeunes encore pour prendre le risque de quitter leurs repères (repaires ?). En contrepoint la musique se fait arte povera, presque grunge parfois, et n'en est que plus émouvante !

qui dirige de Colmar, a fait venir trois de ses chanteurs qui, comme la quatrième, débutent dans leur rôle. Les musiciens aussi, solistes de l'Istituto di Musica della Fondazione Cantiere, ou venus de Bordeaux, de Bâle… sont très jeunes et talentueux.

Les sonorités rauques et trashy des instruments illuminent l'humaine fragilité des personnages. Avec sa voix claire et précise joue une exacte Carmen, capricieuse, exigeante, changeante, immorale et fière de l'être. Dommage que le Don José de Sunggoo Lee soit si peu expressif, si peu crédible. Comme une marionnette de Bunraku, sans maître. Le spectacle qui ne dure qu'une heure et dix minutes concentre un peu trop l'histoire dont les rebondissements se télescopent parfois.

Mais comme l'indique le nom de cette manifestation, il s'agit ici de Cantiere, de chantiers. Et cette œuvre n'en est qu'à ses débuts puisque Pierre Thilloy l'emmène, en août en Azerbaidjan où elle prendra en adoptant les instruments locaux, d'autres couleurs ! L'aventure ne fait que commencer.

Crédits photographiques : © Cantiere d'arte Montepulciano

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