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Les 20 ans du festival de Moritzburg, le Marlboro allemand

En 1993, le violoniste Kai Vogler et les violoncellistes Jan Vogler et , cherchaient un endroit saxon où créer un festival de musique sur le modèle de celui  de Malboro aux Etats-Unis. Ces musiciens y avaient joué et ils avaient été séduits par le concept et l'atmosphère de ce festival sis dans le bucolique Vermont. Leur choix s'est porté sur le château de Moritzburg, chef d'œuvre de l'art baroque, construit par le roi Auguste Le Fort, grand monarque visionnaire de Saxe. Au fil des ans, ce festival s'est imposé comme l'une des références en matière de musique de chambre et il se déroule dans des lieux incontournables de Dresde et des environs.

Outre une affiche de musique de chambre de très haut niveau, des programmes des plus alléchants, le festival se distingue aussi par son Académie : les solistes émérites professionnels encadrent ou se produisent aux côtés des jeunes pousses. Ces « académiciens », au nombre d'une cinquantaine, forment même un orchestre à qui revient l'ouverture officielle du festival.

Le concert organisé dans le cadre toujours majestueux de la Frauenkirche de Dresde offrait une belle synthèse de la marque de fabrique du festival : les solistes de l'académie et ceux du festival s'unissaient pour une interprétation de Siegfried-Idyll de Wagner. L'enthousiasme des jeunes artistes et l'expérience de leurs aînés se complétaient dans cette lecture à la fois juvénile d'enthousiasme et rigoureuse dans ses enchaînements thématiques. Sans transition, une équipe de solistes menée par  la violoniste s'attaquait au tube qu'est le Quinette en Ut majeur de Schubert. Chef d'œuvre de la musique de chambre, cette partition était portée au firmament du dialogue entre solistes par ce groupe de cinq musiciens qui rivalisaient d'énergie et de nuances.

Le lendemain, soirée d'un dimanche d'été, était le prétexte à un mini-marathon de musique de chambre, programmé dans Monströsensaal, pièce aussi majestueuse qu'impressionnante du château de Moritzburg. Cet écrin, aux fresques baroques, est un endroit des plus privilégiés pour tout concert.

Soliste réputé dans les pays germanophones et musicien à la curiosité insatiable, , proposait une confrontation entre le monde vaporeux et fin de siècle de et la pure virtuosité de Liszt. L'artiste sera moyennement parvenu à emporter l'adhésion ; on pointe un manque d'adéquation stylistique avec et une intonation trop souvent hasardeuse dans le duo de Liszt. On sera pourtant gré à d'emporter ces pièces au panache et à la prise de risques. Il est bien secondé par la pianiste , attentive à l'esprit de ces partitions si opposées.

Plat de résistance de ce concert, la seconde partie de la soirée voyait les musiciens évoluer dans des eaux très différentes. Offerte en introduction, la « Suite » des Noces de Figaro de Mozart, réglée pour quatuor à cordes par , faisait naturellement son effet. Même arrangé pour quatre archets, Mozart est un exercice redoutable pour faire briller la qualité des musiciens et avec un quatuor composé de tels chambristes, ce fut un régal. La transition était brutale avec les climats étouffants et décantés du Quatuor n°2 de Schönberg. Le niveau technique et musical des solistes leur permettait de faire ressortir toutes les facettes de cette musique exigeante mais au modernisme racé, volontariste, sans compromis mais toujours fascinant. On découvre à la tête de ce quatuor à cordes le jeune , qui fait vivre, comme rarement, cette musique et qui porte ses condisciples aux paroxysmes des tensions contrapuntiques. Sollicitée dans les deux derniers mouvements, la soprano est exceptionnelle d'engagement et de vécu. Sa voix s'adjoint aux méandres des sortilèges instrumentaux avant de se perdre dans les ombres fantomatiques du château.

En guise de conclusion, notre panel de virtuoses, rejoint par le pianiste , faisaient virevolter le Quintette avec piano de Dvořák dans un feu d'artifice enjoué et endiablé. En dépit des qualités individuelles de chacun des musiciens, on retenait leur entente exceptionnelle au service d'une vision commune, saine et sans esbroufe.

Trop peu connu dans nos contrées francophones, le festival de Moritzburg est à marquer sur les agendas pour la qualité de sa programmation et pour son atmosphère qui lie musique et art. Ayant passé le cap de 20 ans, le festival, mené par le toujours énergique et communicatif Jan Vogler, nous réservera encore de nombreuses surprises et découvertes.

Crédits photographiques : René Gaens

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