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Royaumont : L’ensemble Linea et le KammerKonzert de Ligeti

Au terme d'une résidence de cinq ans à Royaumont (2009-2013) durant laquelle ils se seront investis sur tous les fronts (concerts, session de composition, de direction d'orchestre…), l'ensemble strasbourgeois Linea et son chef et fondateur Philippe Wurtz donnaient un superbe concert dans le grand Réfectoire de l'Abbaye.

La soirée s'inscrivait dans la thématique du programme « relecture » initiée par Royaumont en 2010. L'idée est de prélever du répertoire contemporain certaines oeuvres phares (Kontra-Punkte de Stockhausen, Black Angels de Crumb, Nommos Alpha de Xenakis…) et d'inciter de jeunes compositeurs à se confronter à ces « monstres » qui ont marqué l'Histoire des 60 dernières années. C'est le KammerKonzert de Görgy Ligeti crée en 1970 au Festival de Berlin qui était cette année l'oeuvre de référence; et c'est au jeune compositeur américain (stagiaire de la Session de composition 2007) que revenait la tâche, délicate autant que stimulante, d'imaginer une nouvelle oeuvre réinvestissant le même dispositif que celui de Ligeti: à savoir quatre claviers (piano, célesta, clavecin, orgue Hammond) et 9 instruments.

Dans Chamber concerto, conserve l'articulation en quatre mouvements du KammerKonzert et cette délicatesse des textures ainsi que l'allure pulsative que prend souvent la musique de Ligeti. C'est ainsi que débute l'oeuvre, dans une dimension vibratile et percussive et l'utilisation très économe des claviers. Le second mouvement met à l'oeuvre une écriture par strates entre les vents et les cordes – y compris celles du piano et du clavecin joués à l'intérieur de la table – instaurant un flux sonore très subtil au sein de l'ensemble. Précis et mécanique comme chez Ligeti, mais sans jamais plagier le maître, le troisième mouvement s'ordonne sur la pulsation légère du célesta, tissant un espace lumineux et transparent, ici très poétique. Le dernier mouvement est de plus grande envergure, jouant sur un éventail de timbres très diversifiés et parfois bruités; la texture se densifie jusqu'au grand « mixage » de toutes les parties, à l'instar d'une micropolyphonie vivante et vibrante. On sentait ce soir une synergie parfaite entre le chef et les musiciens de Linea donnant une version lumineuse du Chamber Concerto.

Dans Liber Scintillarum (Livre des étincelles) que l'on entendait en création française, Brian Ferneyough ne renonce pas à l'hyper-complexité de l'écriture incluant, dans la dramaturgie même de l'oeuvre, la tension du geste instrumental. Les « étincelles » font ici référence aux adages – tirés de la Bible et des écrits des Pères de l'Eglise – renfermés dans ce Livre saint. Quant à la musique, elle fascine par la diversité de ses textures et la rapidité des changements autorisant autant de relances énergétiques. Les musiciens sont mis au défi mais la complexité chez Ferneyhough n'est jamais vaine.

Le KammerKonzert est une oeuvre phare de Ligeti qu'il écrit entre 1969 et 1970: oeuvre de synthèse où le compositeur hongrois reprend certains traits d'écriture antérieurs (ceux de Lux aeterna par exemple) et aborde de nouveaux processus inspirés de certains phénomènes de croissance propres à la biologie; en bref, c'est une pièce minutieusement ouvragée, tant sur le plan rythmique que dans l'élaboration des textures. Le dispositif tout à fait original avec ses 4 claviers engendre un dosage très singulier des timbres qui en fait une pièce unique et hautement virtuose, écrite le plus souvent à 13 parties réelles. L' en donnait une exécution d'une très belle lisibilité et d'une fluidité épatante (1er et 2ème mouvements); le troisième mouvement (Movimento preciso e meccanico) manquait d'un rien « d'insolence » dans les timbres mais l'acoustique était sans doute responsable. Le quatrième mouvement le plus fantasque était magnifiquement assumé, entre raucité de la contrebasse et excentricité des bois et des claviers. L'oeuvre se termine « sur la pointe des pieds », en un geste théâtral très ligetien.

 

 

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