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Trésors inédits et conception renouvelée de l’interprétation médiévale

A dominante féminine, l' est constitué de musicologues qui sont aussi, pratique peu courante en France, des exécutants, issus à la fois de la Sorbonne, de l'Ecole Notre-Dame et de la Schola Cantorum de Bâle ; à géométrie variable, ses membres font un travail d'archéologues, en quête des sources les plus anciennes des monodies et des premières polyphonies. Parmi eux, ce groupe s'est donné pour tâche de faire connaître les œuvres contenues dans des manuscrits conservés à Douai et à Valenciennes, provenant des abbayes détruites de la région de l'Escaut ( celle-même qui vit naître Josquin des Prés) dont la plus riche de recueils musicaux, celle de Marchiennes (VIIe siècle). Cette « Terre des saints » ( Saint Amand notamment), fut particulièrement féconde, laissant des mélodies d'une inventivité stupéfiante et restées totalement inconnues jusqu'ici. Leurs textes variés, dont des vies de saints, ont attiré l'attention de celles qui les découvraient et elles ont examiné le rapport entre paroles et mélodies, l'importance de la création verbale et le rôle qu'elle doit jouer dans l'interprétation. D'où un renouvellement du chant religieux et profane dont ce premier disque témoigne de la façon la plus convaincante.

« Crossing the Channel » éclaire à partir d'œuvres inédites pour la plupart, les rapports constants entre la musique insulaire et celle du continent du Xe au XIIIe siècle, avec de brefs exemples d'interprétation: un repons issu des organa de l'abbaye de Winchester, un organum, cinq conduits à deux et trois voix, dont un Salve Regina, quatre motets et des chansons religieuses et profanes.

Au Xe siècle a lieu la réforme des monastères anglais à partir de la cathédrale de Winchester qui multiplie les contact avec l'abbaye bénédictine de Saint Benoît sur Loire. 174 organa y sont alors ajoutés aux mélodies du plain-chant, exemples splendides des premières polyphonies (cf : Te laudant angeli pour le temps de Noël).

Au siècle suivant, on assiste à l'apparition du dénommé « nouveau style » (ex. « Christus resurgens » figurant dans des manuscrits irlandais, de Chartres et de l'abbaye de Marchiennes) où la voix organale plus libre entremêle ses mélodies à celle du plain-chant.

Depuis Guillaume le Conquérant et largement sous le règne d'Henri Plantagenêt, on chante à la cour d'Angleterre, en anglo-normand puis aussi langue d'oïl, nombre de chansons profanes et de contre factures religieuses inspirées de la lyrique courtoise française.

Dans l'élaboration des musiques insulaires, Providencia discerne ce qui est spécifiquement anglais à savoir l'échange des voix (deux voix échangent leurs parties respectives) et surtout, bien avant Dunstable, l'usage de la tierce avec des accords consonants.

Quant aux textes, on peut noter la récurrence du motif de la fuite du temps et de la vanité des biens terrestres, d'un lyrisme très sombre, ignoré alors sur le continent et là encore précurseur de la poésie ultérieure (cf : Worldes blis, O labilis).

La forme des poèmes est souvent difficile et raffinée, en latin  rimé comme en langue vulgaire, avec un jeu de rimes intérieures parfois dans des strophes monorimes inhabituelles sur le continent.

Quant à l'interprétation du texte musical, elle prend appui sur celle des conduits. Telle est la nouveauté du travail de Providencia qui considère que le facteur principal dans la conception des conduits n'est pas d'ordre musical mais verbal, le rythme étant celui de l'accentuation du texte. Ce principe s'étend aux chansons savantes, quelque soit la langue, les chansons de trouvères et leurs contre factures notamment. Il faut une double accentuation de la mélodie : celle, fixe, qu'impose la prosodie et celle ajoutée sur certains vocables à des fins expressives, donc variant d'une strophe à l'autre. Ainsi de Bien deust chanter ki eust leale amie, contre facture mariale d'une chanson de Blondel de Nesle Bien doit chanter qui fine amours adrece. Sont évités dès lors l'usage impropre du plain-chant comme la musique mesurée qui casse les mélodies.

Ces interprétations sont d'une clarté, d'une sûreté remarquables et les voix féminines, dans leur douceur, rejoignent l'esthétique du Nord de la France valorisant blancheur, suavité et transparence.

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