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Clairvaux, du Moyen-âge au romantisme

Le premier concert de la journée alla breve nous proposait un voyage dans le temps d'une part, dans l'espace ensuite puisque la musique du pourtour méditerranéen entre 1100 et 1300 était mise à l'honneur. En effet, la directrice artistique de ce festival, Anne-Marie Sallé, a toujours eu à cœur d'élargir l'horizon musical « traditionnel » et d'enrichir une programmation, certes de grande qualité mais relativement « classique », par des incursions dans des sphères un peu plus insolites, telle la musique médiévale. Force est de constater que cette prise de risque s'est avérée payante. Petits et grands ont pu s'émerveiller devant l'incroyable dextérité dont a fait preuve Carlo Rizzo dans le jeu de tammorra, tamburello et autres tambourins. Entouré de Brigitte Lesne -dont la voix expressive et sans artifice a fait l'unanimité, et de Pierre Hamon, passé maître dans l'art de la flûte sous toutes ses formes, ce trio complice nous a offert une heure et demie d'évasion.

Des Laudes à la Vierge de l'Italie catholique aux chants séfarades d'Espagne, les musiciens -tantôt en duo, tantôt en trio- ont pu faire valoir leur rare polyvalence, dans la pure tradition des musiciens moyenâgeux. Le chant d'amour de la comtesse de Die, composition d'une trobairitz (c'est-à-dire d'une femme troubadour) a été particulièrement apprécié, la harpe médiévale égrainant des harmonies saisissantes sous une flûte à la fois suave et mélancolique. Également, des jeux de spatialisation à faire pâlir d'envie les Gabrieli suscitèrent beaucoup d'intérêt, à l'instar de quelques estampies instrumentales, aux rythmes entraînants souvent issus du folklore local, qui venaient égayer une programmation mêlant astucieusement musique sacrée et profane. Une fois le concert fini, le public, conquis, s'est d'ailleurs empressé d'échanger avec les musiciens et d'en apprendre un peu plus sur ces instruments méconnus. Saluons donc la direction pour cette initiative très réussie.

Le deuxième concert s'organisait autour de deux monuments de la musique de chambre à la filiation évidente : à savoir le fameux Quintette en fa mineur de Franck et le Concert en ré de Chausson.  La métamorphose, thème proposé par Anne-Marie Sallé, constituait le fil conducteur de ce festival : après la venue de Michael Levinas, auteur de La Métamorphose (opéra d'après l'œuvre de Kafka) et de l'ensemble qui a fait revivre sous nos yeux des joyaux de la musique médiévale, le programme de cette soirée mettait en lumière une métamorphose sonore fort intéressante. En effet, la texture quasiment orchestrale que l'on pressent dans bon nombre de passage du Quintette était ici particulièrement valorisée, grâce au jeu à la fois clair et extrêmement dense de et à la grande précision du quatuor à cordes. Après un premier mouvement tout en contrastes, le Lento con molto sentimento central a empli la salle de son atmosphère éthérée, quelques bribes de thème, entre métamorphose et réminiscence, surgissant au détour de longs développements. La belle qualité d'écoute des musiciens a d'ailleurs transparu dans la fluidité des enchaînements : violons, alto et violoncelle chantant tour à tour sur les harmonies mouvantes du piano. Enfin, force est de constater l'époustouflante maîtrise de cette jolie brochette de solistes : le final en fut la preuve. Balayant toutes les versions qui auraient pu traîner dans l'oreille, ils firent de ce troisième mouvement un objet sonore complètement hallucinatoire entre exultation suprême, déclarations enflammées et profonde douleur. Si la légende veut que Franck ait composé ce quintette en plein tourment sentimental, les musiciens dépassèrent ici amplement le cadre d'un chagrin d'amour, réussissant à rendre palpable l'anxiété irrationnelle du compositeur.

Avec le Concert en ré opus 21, composé entre 1889 et 1891, soit environ onze ans après le quintette, le programme se poursuivait brillamment, tenant la partie de violon solo aux côtés d'un quatuor à cordes toujours aussi performant et d'un pianiste très en forme. Si l'influence de Franck (voire de Wagner!) est nettement perceptible dans cette œuvre « hybride », les six musiciens eurent l'intelligence de ne pas insister lourdement sur cette parenté, et au contraire, mirent en valeur les éléments propres au langage de Chausson. En dépit de la complexité de la pièce, les quatre mouvements furent interprétés avec beaucoup d'aisance et dans une ambiance chaleureuse, dénotant par-là de leur longue collaboration. Visiblement heureux de se retrouver sous les voûtes du Dortoir des Convers, tout récemment restauré, cette équipe gagnante nous a offert une prestation d'une intensité incomparable et fut, à juste titre, très applaudie.

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Régis Pasqier (c) DR

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