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Avec Thomas Lacôte et le grand-orgue de l’église de la Trinité

Compositeur, professeur d'analyse et d'écriture (au CNSM de Paris ainsi qu'au CRR d'Aubervilliers-La Courneuve) et titulaire-adjoint du grand-orgue de la Trinité, , la trentaine, marche assurément dans les traces de Messiaen ; sa prédilection pour les couleurs, tirées du mythique « Cavaillé-Coll » de la Trinité et ce champ de références culturelles – de Pythagore à René Char –  qu'il aime investir dans sa pensée créatrice sont autant de filiations avec l'univers du compositeur du Livre d'orgue dont assume la succession avec une étonnante maestria.

Ce superbe album monographique que le label Hortus consacre à ses oeuvres pour orgue en témoigne aisément ; il n'en affirme pas moins une pensée singulière qui s'éloigne radicalement du langage symbolique de Messiaen et s'ancre quant à elle dans le champ sonore et la musique de timbres des compositeurs spectraux ; et à ce titre, l'orgue, sous la conduite de , invite à une expérience d'écoute inédite : « par la mise en relation des familles de jeux, par l'exploration des transitions et des seuils » précise le compositeur dans ses notes d'intention.

Parmi les six pièces retenues dans cet enregistrement, certaines ont été commandées à Thomas Lacôte par d'autres organistes comme , , qui sont les interprètes de cet album, au côté du compositeur lui-même.

The Fifth Hammer, la pièce qui donne son titre au CD, sollicite la formation peu commune de l'orgue à « quatre mains et quatre pieds » (Thomas Lacôte et ). C'est la première partition du compositeur écrite spécifiquement pour le grand-orgue de la Trinité. Singulière à plus d'un titre, la pièce fait référence au cinquième marteau de la forge délaissé par Pythagore parce qu'il dissonnait. Thomas Lacôte nous met à l'écoute du son et des textures vibratiles et transparentes d'un instrument « qui semble échapper à lui-même » : Jeux d'espaces et de timbres, Klangfarbenmelodie et éclairs fulgurants révélant autant d'images spectrales qui traversent cette grande forme en arche.

Non moins atypique et magnifiquement accompli, Cristal de temps associe avec un rare bonheur l'orgue () et le saxophone soprano () dont les anches communes autorisent une parfaite fusion des timbres et un jeu subtil sur l'ambiguité des sources. Thomas Lacôte y élabore avec un soin d'orfèvre une toile de fond « d'harmonie-timbre » à laquelle le saxophone collabore tout en inscrivant ses propres figures en surimpression.

Un même propos esthétique et poétique lie les Trois études pour orgue (Premier cahier) et les Quatre Préludes éphémères, « sorte d'études en miniature » pour l'apprentissage. Leurs titres sont autant de références littéraires (René Char, Apollinaire, Aragon…) sollicitant tout à la fois l'imagination (Alluvions en flamme), les illusions acoustiques (Vidit Jacob scalam) et les correspondances: dans Et l'unique cordeau des trompettes marines (Etude n°3 empruntant son titre au monostique d'Apollinaire), Thomas Lacôte cherche « l'unité du son de l'orgue » à la faveur d'une registration ingénieuse autant que virtuose relayant les différentes familles de jeux pour opérer la synthèse ou le filtrage du « grand son ».

On retrouve Thomas Lacôte aux claviers/pédalier du grand-orgue de La Trinité dans Quatre improvisations qui referment cet album. Sans passer par l'écriture, ces quatre pièces éminemment inventives mettent d'avantage à l'oeuvre le geste instrumental (Pour les notes répétées) et les processus de développement (Chambre d'échos) dans un esprit plus ludique et le désir toujours ressenti d'explorer plus avant les potentialités sonores d'un orgue qui n'est jamais, pour Thomas Lacôte, l'instrument des tonitruances mais celui de la prospection d'une richesse infinie.

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