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A Marseille, Natasha Paremski et son piano inspiré

La pianiste américaine d'origine russe donnait pour la première fois un récital à Marseille le mardi 19 novembre. Félicitons la Société de Musique de Chambre de la cité phocéenne pour nous avoir permis de l'entendre car encore peu connue en France, elle mène depuis des années une brillante carrière à travers le monde notamment le continent américain et la Grande-Bretagne. Le public marseillais lui a réservé un accueil chaleureux, séduit par son tempérament et ses qualités pianistiques peu banales.

Le Scherzo n°3 de Chopin nous permet d'emblée d'apprécier une intensité de jeu sur le fil du rasoir parcourue par une respiration naturelle fluide. La série d'accords au caractère martial, est assenée avec véhémence et contraste à l'extrême avec les  descentes cristallines presque murmurées. En fin de morceau, Paremski fait parler sa technique incandescente sans perdre de vue une rigueur architecturale d'ensemble.

Elle apporte par la suite un éclairage dépoussiéré sur la Sonate op.31 n°2 de Beethoven, notamment avec son Allegretto minimaliste, envisagé avec peu de pédale et des accents inhabituels, loin de l'épisode ‘sentimental' de certaines versions. Le Largo, nerveux et instable, est incisif tandis que l'Adagio et ses pianissimi oniriques à souhait révèlent un cantabile sans emphase au charme mystérieux. Cela fonctionne dans ces deux mouvements grâce à une réelle unité de ton. Dans le final, l'équilibre sonore des deux mains est bien là. Toutefois, le caractère répétitif des thèmes ne permet pas d'apprécier pleinement leur profondeur harmonique. Il aurait fallu avoir à disposition un autre instrument qui possède davantage de rondeur dans le registre central et à l'inverse, des aigus plus moelleux.

Retour à Chopin avec la 4e Ballade. La pianiste retrouve avec spontanéité un toucher idéal. Une mélancolie délicate se détache, soutenue par une main gauche expressive et des couleurs à la beauté nostalgique. Ses envolées libèrent avec passion une puissance brute, annonciatrice de l'œuvre suivante jouée après l'entracte.

Dans les Tableaux d'une Exposition, la pianiste ne ménage pas ses effets et pousse au maximum les possibilités symphoniques et harmoniques de son instrument. Pris allant, le thème initial plante le décor avec autorité. Les différents tableaux s'enchaînent avec contraste et nous entrainent dans leur univers tantôt lugubre, facétieux voire merveilleux. Un climat hypnotique et voilé plane sur « Il vecchio castello » tandis que « Limoges : le marché » est d'une vélocité à l'ivresse étourdissante. La gravité poignante des « Catacombae » et du « Con mortuis in lingua mortua » restera probablement le moment sublimé de ce récital. La noirceur explosive et obsessionnelle de « Baba Yaga » nous épargne tout excès de débauche tandis que  la « Grande Porte de Kiev » apparaît grandiloquente avec sa cascade de cloches magnifiée.

En bis, choisit de rester en terre russe avec l'Etude-Tableau en do mineur op.33 de Rachmaninov. Sous les ténèbres se dessine une touche de lumière à la portée salvatrice. C'est sur cette note poétique que s'achève un récital convaincant qui, à n'en pas douter, en appellera vite d'autres.

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