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Sharon Isbin joue Tan Dun à Liège

L' poursuit sa route vers l'Orient (thématique de l'actuelle saison) avec cette fois une programmation remarquable d'audace. L'orchestre ne craint en effet pas d'ouvrir sa soirée avec rien de moins qu'une Danse des sept voiles! L'exercice est redoutable tant il s'agit pour l'orchestre encore « froid » de parvenir à installer d'emblée un climat violent de tension alors qu'au théâtre lyrique, la Danse des sept voiles constitue un climax pour un orchestre qui a déjà laissé derrière lui une heure de musique… L'orchestre liégeois relève plutôt bien ce défi. Notons que les premières mesures auraient gagné en lisibilité si les bois avaient relevé leurs pavillons dans leurs premières interventions, pour alors mieux se projeter au delà des cordes. Mais mise à part cette observation mineure, nous surprend à privilégier un tempo assez retenu. La musique ne perd pas pour autant de sa tension mais gagne par contre en sensualité et l'on se surprend à encore découvrir  des détails d'orchestration qui n'avaient jamais été révélés par le disque. Nous savourons les contre-chants de cor superbes dans la partie centrale de l'oeuvre… Bref, la soirée s'annonce sous les meilleurs auspices.

L'oeuvre complétant cette première partie de soirée nous rappelle l'intérêt que voue au répertoire contemporain puisqu'il nous proposait de découvrir le Concerto pour guitare Y2 du compositeur Chinois . Révélé au grand public par la bande originale du film Tigre & Dragon pour laquelle il a obtenu un Oscar, ne se limite pourtant pas à l'écriture de musiques de films puisque sa production compte également plusieurs œuvres d'opéra, de la musique de chambre et des œuvres expérimentales. Dans sa série de concertos « Y », a d'abord écrit une base orchestrale à laquelle il a additionné une partie confiée à un instrument soliste. Son concerto Y2 se consacre ainsi à la guitare. Le fruit le plus savoureux  des investigations de Tan Dun est à chercher dans l'équilibre qu'il parvient à trouver en exploitant des influences culturelles à priori en parfaite opposition. On serpente ainsi tout au long de l'œuvre à travers des esthétiques plurielles. , artiste dédicataire du concerto, joue par exemple sa guitare dans une technique qui est d'abord celle de la guitare de flamenco, pour basculer après vers un jeu évoquant la pipa chinoise. Ailleurs, une complicité s'installe entre la soliste et le chef d'orchestre qui claque des mains en réponse à la guitare. Et ces allures de flamenco se renforcent encore lorsque complète son jeu en frappant la caisse de son instrument. Nous avons également ressenti à travers ce concerto une intense réflexion sur les rythmes originels qui fait parfois penser au Sacre du Printemps dans les éclats de l'orchestre. La première qualité de l'écriture de Tan Dun réside certainement dans ses expérimentations sonores. Les effets sont surprenants, jamais purement gratuits, parfois spectaculaires et pourtant déconcertants de simplicité comme lorsque les bois retournent leurs instruments pour souffler bruyamment dans leurs ouvertures. A l'issue de cette performance intense, mais peut-être déconcertante pour une partie de l'audience, a eu l'heureuse initiative de proposer en bis une délicieuse valse du guitariste paraguayen Agustín Barrios Mangoré.

En seconde partie de concert, aborde Brahms et sa Symphonie n°4, avec la volonté affirmée de vouloir interpréter le plus justement possible les volontés du compositeur. Pour ce faire, l'orchestre nous a informé que Christian Arming s'appuyait sur un ouvrage du chef d'orchestre Fritz Steinbach, ami de Brahms, dans lequel étaient compilées de nombreuses indications fournies par le compositeur sur l'art d'aborder sa musique. Nous attendions donc d'être séduits par « le naturel et la musicalité des articulations, coups d'archets, expressions  transmis par le compositeur ». Force est de constater qu'une seule maigre partie de ces bonnes intentions se soit révélée à nos oreilles. Peu habitée par l'orchestre, la symphonie manque de relief et est ponctuellement fragilisée par quelques imperfections techniques. Le mouvement lent peine à chanter, pénalisé par le peu de nuances traduites par les musiciens. L'orchestre, plutôt que de guider l'auditeur vers l'essence de la partition, l'oblige à devoir faire son marché lui- même dans la masse sonore qu'on lui propose, et ce avec plus ou moins de bonheur. L'allegro Giocoso était finalement le mouvement le mieux charpenté de tous. Au sortir de cette symphonie, l'on se demande si à chercher à recréer « le » coup d'archet ou telle « attaque », l'orchestre n'a pas simplement passé à côté de l'essentiel: raconter une histoire…

Crédit photographique : Sharon Isbin © J. Henry FairJ.

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