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Huberman et Dobrowen : deux grands musiciens historiques

Cela fait un moment que le label japonais Opus Kura ne nous avait fait part de ses nouveautés, aussi c'est avec grand plaisir que nous accueillons ces deux productions historiques sous rubrique. L'une d'entre elles, consacrée au légendaire violoniste polonais (1882-1947) est en fait une réédition améliorée en 2012 d'un transfert déjà remarquable, publié en 2001 (OPK2007), et le résultat, nettement supérieur à l'original, méritait vraiment d'être signalé pour la grande conscience professionnelle de ce label. La seconde est dévolue au chef d'orchestre (1891-1953) dont le plus grand titre de gloire est d'avoir popularisé Boris Godounov de Moussorgski tant au concert (avec la légendaire basse-acteur russe Feodor Chaliapine) qu'au disque (avec la grande basse bulgare Boris Christoff).

Dès janvier 1923, confiait au disque acoustique la Canzonetta, 2e mouvement du Concerto pour violon en ré majeur op. 35 de Tchaïkovski, puis en février 1923, l'Andante et le Rondo – Allegro de la Symphonie Espagnole en ré mineur pour violon et orchestre op. 21 de Lalo, le tout avec la complicité de son pianiste Paul Frenkel. Ces gravures sont présentes en fin de CD, surtout comme témoignage non seulement des deux artistes, mais aussi d'une époque où enregistrer une œuvre entière relevait encore de l'exploit, et même la partie orchestrale de ces extraits dévolue au piano est parfois amputée lorsque le violon solo en est absent. L'apparition de l'enregistrement électrique en 1925 allait amener Huberman et la Columbia anglaise à regraver ces deux œuvres selon le nouveau procédé, cette fois virtuellement intégralement avec orchestre. Nous disons « virtuellement », car pour une raison inexplicable, et son chef d'orchestre amputent le Finale Allegro Vivacissimo du Concerto pour violon de Tchaïkovski de toute son exposition (mesures 53 à 242) ! C'est d'autant plus étonnant que le violoniste, contrairement à l'usage de l'époque, adopte la version originale de Tchaïkovski, et non la révision « améliorée » par les petites coupures répétitives du Finale de Leopold Auer, et d'autre part l'œuvre vraiment complète aurait pu aisément occuper les huit faces de l'album 78 tours original, au lieu des sept actuelles, la huitième étant dévolue à la Mélodie en mi bémol pour violon et piano de Tchaïkovski. Par ailleurs, la Symphonie Espagnole de Lalo nous est offerte ici amputée de son 3e mouvement Intermezzo – Allegro non troppo, pratique courante à cette époque, et même plus tard. Rappelons toutefois que Henry Merckel fut le tout premier à nous révéler intégralement en ses cinq mouvements la Symphonie Espagnole de Lalo en 78 tours de février 1932, gravure récompensée par le Prix du Disque « Candide » en 1933, l'enregistrement de Bronisław Huberman ne datant que de juin 1934.

Huberman, dont la technique époustouflante fait souvent songer à Jascha Heifetz, était le genre d'artiste qui insistait sur le processus de recréation de l'œuvre qu'il exécutait, basé sur la familiarisation avec la vie intérieure et l'esprit du compositeur, s'identifiant ainsi totalement avec lui. Il n'est donc guère étonnant que sa fougue passionnée ait rencontré en un admirable alter ego : avec ce superbe chef d'orchestre natif de Nijni-Novgorod, Huberman nous a légué des gravures à chérir, les Concertos pour violon et orchestre BWV 1041 et BWV 1042 de Bach, ainsi que le Concerto n°3 en sol majeur K. 216 de Mozart (Opus Kura OPK2025). Accompagnateur hors pair de grands solistes (Artur Schnabel, Ginette Neveu, Solomon, Nikolaï Medtner), fut surtout un chef d'exception, à la fois bouillonnant et précis, chaleureux et expressif, comme en témoigne cette édition remarquable et définitive d'œuvres de Rimski-Korsakov, où il excellait, comme d'ailleurs dans tout le répertoire russe.

Dans un couplage idéal, Opus Kura fait voisiner sa légendaire Shéhérazade, enregistrée le 17 décembre 1952, avec la suite d'orchestre en trois parties de l'opéra Le Conte du Tsar Saltan, gravée le 4 décembre 1952, la durée du CD ne permettant hélas pas d'y joindre la suite du Coq d'Or enregistrée le jour suivant. Nous avions déjà connu un bon transfert de cette Shéhérazade sur label Archipel Records (ARPCD0308), mais cet éditeur avait cru bon de la flanquer d'un court extrait mal choisi de Boris Godounov, en stéréophonie artificielle !… Nous avions dès lors souhaité une édition plus aboutie qui nous proposerait en complément la suite du Coq d'Or ou celle du Tsar Saltan. Rêve exaucé, car c'est cette dernière qui nous est proposée ici, et le résultat est éclatant : le transfert d'Opus Kura, concernant Shéhérazade, n'a rien à envier à Archipel, bien au contraire, tandis que celui du Tsar Saltan est tout aussi exceptionnel. Nous tenons donc ici l'édition définitive non seulement pour ces deux magnifiques réalisations d'Issay Dobrowen, mais également pour celles précitées de Bronisław Huberman.

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